Quel rôle la comptabilité peut-elle jouer en faveur d’un développement durable ? Les comptabilités socio-environnementales émergent dans le débat public et sont plébiscitées par les acteurs économiques comme outil de transformation de leur modèle. Décryptage des innovations comptables.
La comptabilité, outil de développement durable pour les entreprises
La comptabilité, en tant qu’outil de dialogue et de pilotage au sein des entreprises, influence directement le fonctionnement de celles-ci et pourrait devenir un levier de transformation des modèles économiques.
Dans un contexte d’urgence climatique, d’accroissement des inégalités et de stabilisation à un haut niveau du chômage mondial (Rapport du Stockholm Resilience Center sur l’atteinte des limites planétaire, Rapport du World inequality lab sur les inégalités mondiales, rapport de l’OIT sur le chômage), la société et les investisseurs attendent de plus en plus un effort de la part des entreprises en faveur d’une croissance durable. En témoigne, par exemple, le développement de la finance verte, la mise en place des Objectifs de développement durable (ODD) ou encore la promulgation de la loi PACTE en France.
Cette tendance à la responsabilisation des entreprises se concrétise ces dernières années par la multiplication des dispositifs de Responsabilité sociale des entreprises (RSE), des méthodes d’évaluation et de valorisation des impacts sociaux et environnementaux. Aucun référentiel n’étant à ce jour partagé par les acteurs économiques, la comptabilité, en tant qu’outil de gestion obligatoire et normé, pourrait être à même de répondre à ces enjeux. Comme le soutient le rapport Notat-Sénard, paru en mars 2018, il serait alors nécessaire d’innover et d’envisager la possibilité pour les normes comptables de « servir l’intérêt général et la considération des enjeux sociaux et environnementaux ».
RSE et comptabilités intégrées, deux manières de rendre compte
Les réflexions autour d’une autre manière de compter sont nées dans un contexte de remise en cause de la croissance, notamment avec la parution des Limites à la Croissance – dit « Rapport Meadows », en 1972. Les expérimentations ainsi menées depuis une trentaine d’années nourrissent les débats sur les méthodes de mesure des externalités positives et négatives des activités économiques.
Deux visions ont émergé de ces recherches et expériences : celle de la RSE avec ses outils de reporting extra-financier et celle des comptabilités alternatives.
Les dispositifs de reporting extra-financier au service de la stratégie RSE
Dès la fin des années 90, le concept de triple performance ou Règle des trois P (Personnes, Planète, Profit – Triple Bottom Line en anglais) incite les dirigeants à envisager la performance de leur entreprise sous trois angles : économique, social et environnemental. Cette nouvelle approche prend, par la suite, le nom de stratégie RSE et intègre la triple performance dans les processus gestionnaires (activités commerciales, stratégie de développement, dialogue entre parties prenantes).
Dès 2010, se développe en Europe et en France un cadre légal de prise en compte de cette performance extra-financière : le dispositif de reporting extra-financier, qui vise à rendre davantage transparentes les pratiques de RSE, devenant obligatoire dès 2017 pour les grandes entreprises.
Malgré cet appui législatif aux stratégies RSE et la multiplication des outils de mesure extra-financière, certains écologistes et économistes pointent la mise en œuvre en silo des dimensions économiques, écologiques et sociales. Ils sollicitent une mise en cohérence des pratiques engagées sur ces trois dimensions et un développement de la transversalité de l’information, afin de mieux garantir la conservation du patrimoine environnemental et humain.
Les comptabilités alternatives, des outils innovants qui s’intègrent aux états financiers des entreprises
Les Comptabilité socio-environnementales (CSE) ou « vertes », développées en parallèle des pratiques RSE, visent à apporter des réponses opérationnelles en intégrant directement les impacts environnementaux et sociaux dans les documents comptables (états financiers) des entreprises.
Ces innovations comptables ont la capacité d’influencer directement le fonctionnement et les stratégies des entreprises. D’une part, l’application de ces CSE par les entreprises rend visible l’invisible en inscrivant au bilan comptable et dans le compte de résultat les ressources consommées ou dégradées par les activités économiques et permet ainsi une grande transparence vis-à-vis des parties prenantes de ces entreprises. D’autre part, l’application de ces principes améliore les stratégies internes de performance financière et extra financière.
Leviers pour le développement des comptabilités alternatives
Pour déployer ces nouvelles mesures comptables au service de la transition écologique et sociale, plusieurs acteurs œuvrent par :
- La Recherche et Développement, à travers notamment la création récente de la Chaire partenariale Comptabilité Ecologique portée par la Fondation AgroParis Tech avec des projets de recherche soutenus par des acteurs privés et publics comme LVMH et l’Observatoire National de la Biodiversité.
- L’impulsion d’une mobilisation pluri acteurs, rassemblant des universitaires, des entreprises, l’ordre des experts comptables, des collectivités territoriales et s’avérant essentielle pour structurer un écosystème favorable au développement des comptabilités alternatives.
- Des expérimentations concrètes : dès mars 2019 la méthode CARE (Comptabilité Adapté Renouvellement Environnement) sera expérimentée au sein d’une dizaine d’entreprises de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, grâce à l’accompagnement du cabinet ComptaDurable et au soutien du Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire, de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur et de l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie). La méthode CARE, conçue par J.Richard et A.Rambaud, développe le concept de la Triple Ligne d’Amortissement qui permet de constater, au sein du compte de résultat, la dépréciation ou la dégradation du capital financier, environnemental et social de l’entreprise.
D’autres défis restent cependant à relever afin de favoriser le développement et l’appropriation de ces nouvelles pratiques par les acteurs économiques : encadrement législatif, valorisation des ces pratiques à l’international, etc. Des évolutions à suivre avec attention !
>> Pour en savoir plus sur les méthodes de valorisation des impacts, découvrez le Centre de ressources national sur l’Évaluation de l’impact social de l’Avise