Dans sa communication sur l’activisme actionnarial du 28 avril 2020, l’AMF avait proposé plusieurs mesures ciblées afin d’améliorer la transparence du marché, de promouvoir le dialogue entre émetteurs et actionnaires, et d’accroître ses capacités de réaction. Après avoir consulté ses commissions consultatives, l’AMF a approuvé plusieurs évolutions de sa doctrine qui sont présentées ci-après.
Communication des émetteurs en cours de « quiet period » en réponse à des actionnaires activistes
Dans sa communication sur l’activisme actionnarial, l’AMF indiquait qu’elle : « amendera sa doctrine afin de préciser que, sous réserve notamment de la réglementation relative aux abus de marché, les émetteurs peuvent apporter toute information nécessaire au marché, même en cours de « quiet period », en réponse à des déclarations publiques les concernant. »
Dans la lignée de cette proposition, l’AMF a décidé d’amender comme suit le paragraphe 1.6.1 du guide de l’information permanente et de la gestion de l’information privilégiée de l’AMF :
1.6.1. L’instauration d’une période d’« embargo » avant la publication des résultats annuels, semestriels ou trimestriels
Recommandation :
« Afin de ne pas courir le risque de communiquer des informations financières parcellaires qui peuvent conduire leurs destinataires à anticiper les résultats de l’émetteur avant leur publication, l’AMF recommande aux émetteurs de faire précéder l’annonce de leurs résultats annuels, semestriels ou trimestriels d’une période pendant laquelle ils se refusent à donner aux analystes financiers et aux investisseurs des informations nouvelles sur la marche de leurs affaires et leurs résultats. Afin d’assurer une efficacité maximale à cette période d’« embargo », l’émetteur devrait sensibiliser ses principaux responsables, y compris opérationnels, susceptibles d’être interrogés.
La durée de cette période doit être adaptée aux spécificités de chaque émetteur, en tenant compte notamment de la plus ou moins grande rapidité de publication des résultats. Les émetteurs sont encouragés à fixer et faire connaître au marché une période maximale qui tient compte du processus de centralisation et de compilation de l’information comptable, afin de ne pas interrompre exagérément le nécessaire dialogue avec le marché. A titre indicatif, une période « d’embargo » de quinze jours avant la publication des résultats paraît satisfaisante.
Cette période d’« embargo » sur les résultats ne dispense toutefois pas l’émetteur de fournir au marché des informations sur tout fait relevant de l’obligation d’information permanente, ni ne l’empêche d’apporter, dans le respect du règlement européen sur les abus de marché, toute information nécessaire au marché en réponse à des déclarations ou informations publiques le mettant en cause »(1).
Caractère loyal et équitable des échanges dans le cadre des campagnes activistes
La communication de l’AMF sur l’activisme actionnarial indiquait que : « dans le but de favoriser le caractère loyal et équitable du débat entre émetteurs et investisseurs activistes, l’AMF complétera également sa doctrine en recommandant à tout actionnaire qui initie une campagne publique de communiquer sans délai à l’émetteur concerné les informations substantielles (type « white paper ») qu’il adresse aux autres actionnaires. »
Suivant cette proposition, l’AMF a décidé de compléter son guide de l’information permanente et de la gestion de l’information privilégiée, en ajoutant les développements suivants :
« Afin de favoriser le caractère loyal et équitable des échanges entre émetteurs et actionnaires, l’AMF recommande à tout investisseur qui initie une campagne publique à l’égard d’un émetteur d’adresser sans délai à cet émetteur les projets et propositions, ainsi que l’argumentation correspondante (figurant, le cas échéant, dans un document de type « white paper ») que cet investisseur présente, le cas échéant, à des actionnaires dans ce cadre(2). En outre, lorsqu’un investisseur initie une campagne publique à l’égard d’un émetteur, une bonne pratique consiste pour l’investisseur concerné à rendre publics ces projets et propositions, afin d’assurer une bonne information du marché et une égalité des actionnaires. Il est par ailleurs recommandé que toute campagne publique soit précédée d’une tentative de dialogue de l’investisseur concerné avec l’émetteur ».
Recommandation à l’attention des gérants de fonds concernant le rapatriement, à l’occasion des assemblées générales, des titres prêtés et l’exercice effectif de leur droit de vote
La communication de l’AMF sur l’activisme actionnarial indiquait que : « s’agissant des prêts de titres, l’AMF constate que le recours à une telle pratique par les actionnaires activistes en vue de déstabiliser les assemblées générales d’émetteurs français est marginale. Cependant, l’AMF entend rappeler, dans le cadre d’une recommandation, la bonne pratique que constitue pour les gérants de fonds, le rapatriement des titres prêtés et l’exercice effectif de leur droit de vote. »
Il est rappelé que cette « bonne pratique » figurait au 3e point de la recommandation n°12 du rapport Mansion(3) de 2005, sous la forme suivante : « Il est recommandé aux gérants de fonds de rapatrier, à l’occasion des assemblées générales, les titres qu’ils ont prêtés et d’exercer les droits de vote y afférents ».
Vigilance particulière des actionnaires dans leurs déclarations en cas d’offre publique
Dans sa communication sur l’activisme actionnarial, l’AMF indiquait qu’elle envisageait : « d’amender l’article 231-36 de son règlement général applicable en période d’offre publique, afin d’étendre aux actionnaires (ainsi qu’à leurs représentants ou mandataires) de l’initiateur ou de la société visée les obligations prévues par cette disposition, en particulier une obligation de vigilance particulière dans les déclarations. L’expérience montre, en effet, que les actionnaires, notamment activistes, peuvent exercer un rôle significatif sur le déroulement des offres publiques, de sorte qu’il paraît judicieux de soumettre leur communication, dans ce contexte précis, à une même obligation de vigilance que « les personnes concernées par l’offre » au sens du règlement général de l’AMF ».
Au terme des échanges intervenus au sein des commissions consultatives, l’AMF a décidé de ne pas proposer, à ce stade, de modification de son règlement général mais d’introduire une recommandation en ce sens dans la doctrine de l’AMF.
L’article 231-36, al. 1er du règlement général de l’AMF, qui impose aux personnes concernées par une offre publique, à leurs dirigeants et à leurs conseils, de faire preuve d’une vigilance particulière dans leurs déclarations, demeure donc inchangé. Il est rappelé qu’aux termes de l’article 231-2 3°, « les personnes concernées par l’offre » désignent « l’initiateur et la société visée ainsi que les personnes ou entités agissant de concert avec l’un ou l’autre ».
Pour ce qui concerne les actionnaires de l’initiateur de l’offre ou de la société visée par l’offre, ainsi que les personnes ayant une exposition économique sur l’initiateur ou sur la société visée par l’offre, une recommandation est introduite dans le guide de l’information permanente et de la gestion de l’information privilégiée, comme suit : « Lors de la période d’offre au sens de l’article 231-2 6° du règlement général de l’AMF, il est recommandé aux actionnaires de l’initiateur de l’offre ou de la société visée par cette offre, aux personnes ayant une exposition économique sur l’initiateur de l’offre ou sur la société visée par l’offre en vertu d’accords ou d’instruments financiers mentionnés au I de l’article L. 233-9 du code de commerce, à leurs dirigeants, leurs mandataires et leurs conseils de faire preuve d’une vigilance particulière dans leurs déclarations. Cette recommandation s’applique également pendant la période de préoffre. »
Recommandations sur le dialogue actionnarial
Dans sa communication sur l’activisme actionnarial, l’AMF avait souligné que : « l’existence d’un dialogue transparent, régulier et ouvert entre un émetteur et ses actionnaires constitue l’une des clés pour prévenir les excès des campagnes activistes et, le cas échéant, réduire leur effet potentiellement déstabilisateur ». L’AMF a relevé également que de « nombreux émetteurs attachent d’ores et déjà une place importante à ce dialogue et y consacrent des moyens parfois significatifs. A cet égard, une clarification des principes et des règles susceptibles d’encadrer un tel dialogue est préconisée par certains des rapports précités ».
En ce sens, l’AMF avait indiqué qu’elle complèterait sa doctrine « afin d’y ajouter des développements et recommandations sur le dialogue actionnarial. »
- Rappel des recommandations existantes sur le dialogue permanent entre actionnaires et émetteurs
La doctrine de l’AMF contient déjà plusieurs recommandations sur le dialogue actionnarial. Dans sa recommandation n°2012-05 sur les assemblées générales d’actionnaires de sociétés cotées (actualisée en octobre 2018), l’AMF recommande ainsi l’application de plusieurs propositions (n°1.1 à 1.10) relatives au « dialogue permanent entre actionnaires et émetteurs ». Ces propositions, qui font partie du corpus doctrinal de l’AMF, sont parfois lues exclusivement dans le contexte des assemblées générales. Rappelant l’importance de ces recommandations, l’AMF a décidé de les insérer également dans le guide de l’information permanente et de la gestion de l’information privilégiée, dans une section dédiée au dialogue entre actionnaires et émetteurs, en insistant sur le caractère permanent d’un tel dialogue.
- Recommandation sur le dialogue entre le conseil et les actionnaires
Le rapport 2019 de l’AMF sur le gouvernement d’entreprise a consacré des développements sur le dialogue actionnarial. Au titre du dialogue permanent avec les actionnaires, ce rapport faisait notamment le constat suivant : « S’agissant du dialogue permanent, l’AMF constate que 26 sociétés sur 40 déclarent avoir mis en place un dialogue entre le conseil et les investisseurs. Cette pratique se développe rapidement et contribue à renforcer le dialogue entre les sociétés et les investisseurs. Le champ de ce dialogue avec un membre du conseil désigné à cet effet est souvent restreint aux questions de gouvernance. Il appartient à la direction d’engager des discussions avec les actionnaires sur les autres sujets d’attention des actionnaires tels que la stratégie et la performance. Ce dialogue ne peut, en tout état de cause, pas porter sur des informations privilégiées. Connaître les préoccupations des investisseurs permet aux sociétés d’anticiper les demandes d’activistes et d’avoir des éléments de réponse à leur fournir. »
Dans la lignée de ce constat, l’AMF a décidé d’introduire une recommandation à ce sujet dans le guide de l’information permanente et de l’information privilégiée, comme suit : « Il est recommandé aux émetteurs d’instaurer un dialogue entre le conseil et les actionnaires, le cas échéant par le truchement d’un administrateur référent, sur les principaux sujets d’attention des actionnaires, notamment les questions relatives à la stratégie et la performance en matière sociale, environnementale et de gouvernance (ESG) »
- Recommandations sur les supports de présentation établis à l’occasion des « roadshows » et sur l’opportunité d’une communication en cas de vote contesté en assemblée générale
La recommandation AMF n°2012-02 sur le gouvernement d’entreprise comprend deux recommandations sur le dialogue actionnarial, qui s’énoncent comme suit : « L’AMF recommande que les supports de présentation établis à l’occasion des « roadshows gouvernance » soient mis en ligne sur le site Internet de la société. Par ailleurs, l’AMF recommande aux sociétés, en cas de vote contesté en assemblée générale, de s’interroger sur l’opportunité d’une communication sur les mesures prises par le conseil à la suite de ce vote ».
Il est rappelé que la recommandation AMF n°2012-02 s’adresse aux sociétés déclarant se référer au code AFEP-MEDEF.
Afin d’élargir le champ d’application des deux recommandations précitées, l’AMF a décidé de les introduire dans son guide de l’information permanente et de l’information privilégiée, lequel s’adresse, au-delà des émetteurs déclarant se référer au code AFEP-MEDEF, aux émetteurs dont les titres financiers sont admis ou font l’objet d’une demande d’admission aux négociations sur un marché réglementé, un système multilatéral de négociation ou un système organisé de négociation.
Une version actualisée des documents de doctrine précités, tenant compte de ces évolutions, sera publiée prochainement sur le site Internet de l’AMF.
[1] Par cohérence, il est procédé, à l’occasion de la mise à jour de cette recommandation, à une harmonisation – au profit du vocable « émetteur » – des termes désignant les sociétés concernées.
[2] Il est rappelé que les émetteurs sont soumis par ailleurs à des obligations d’information du marché, au titre notamment du Règlement (UE) n ° 596/2014 du 16 avril 2014 sur les abus de marché
[3] Groupe de travail présidé par Yves Mansion, Pour l’amélioration de l’exercice des droits de vote des actionnaires en France, 15 septembre 2005