En Suisse, la poursuite de son agenda 2030 sera influencée par un cadre législatif qui favorise les solutions de technologies propres. Pour faire avancer ce programme de transformation, il est essentiel d’établir des analyses de rentabilité solides dans le secteur des technologies propres, en démontrant la viabilité économique et les avantages de l’adoption d’approches novatrices. Cet article met en évidence le potentiel des modèles d’entreprise innovants, en particulier la servitisation, en tant qu’exemple convaincant d’un tel cas. En promouvant et en encourageant l’adoption de la servitisation et de modèles similaires, la Suisse peut accélérer sa transition énergétique, ouvrir de nouvelles voies pour une croissance durable et ouvrir la voie à un avenir plus propre et plus résilient.
Les bâtiments représentent actuellement jusqu’à 40 % de la demande énergétique du pays et environ 25 % de ses émissions de gaz à effet de serre, en s’appuyant principalement sur le pétrole et le gaz pour le chauffage (OFEN, 2023). Pour accélérer le passage à des solutions plus propres, l’efficacité énergétique joue un rôle essentiel, souvent considérée comme l’un des moyens les plus rentables de réaliser cette transition nécessaire pour atteindre les objectifs internationaux en matière de réchauffement climatique.
Selon Swiss Energy Scope, la rénovation complète du parc immobilier suisse selon la norme Minergie permettrait de réduire de moitié la consommation d’énergie actuelle. Cela représente une réduction significative de 36 TWh par an, soit 18 % de la consommation totale d’énergie finale du pays. Cependant, le Laboratoire fédéral suisse pour la science et la technologie des matériaux (Empa) signale que les rénovations énergétiques ne concernent actuellement que 1 % du parc immobilier. En effet, malgré l’abondance de solutions énergétiques propres, leur adoption reste insuffisante en raison des coûts initiaux élevés et de la méconnaissance des technologies et de leurs avantages à long terme.
L’innovation en matière de modèles d’entreprise permet d’améliorer l’accès aux technologies propres :
Pour améliorer l’accès aux solutions technologiques propres, il est essentiel de mettre en place des modèles d’entreprise innovants et de modifier les politiques. L’un de ces modèles est le contrat de performance énergétique (CPE), qui permet aux utilisateurs de passer à des systèmes efficaces sans investissement initial et de rembourser les fournisseurs grâce aux économies réalisées. Cela permet d’éliminer les obstacles financiers tout en garantissant des revenus prévisibles à long terme pour les fournisseurs de solutions. Cependant, les CPE peuvent être difficiles à mettre en œuvre ; la réussite d’un contrat dépend fortement de la capacité du fournisseur à prévoir avec précision le montant des économies dont bénéficiera le client pendant toute la durée du contrat. Si le client change de comportement, cela peut entraîner des variations dans les économies estimées et des frictions commerciales entre le fournisseur et l’utilisateur.
Une autre approche prometteuse est la servitisation, qui consiste à vendre les services ou les résultats fournis par les produits plutôt que les produits eux-mêmes. Ce modèle offre une transparence inégalée sur la consommation et la tarification, en adoptant un contrat de paiement à l’utilisation ou X-as-a-Service. Pour les systèmes énergétiques tels que le chauffage (Heating-as-a-Service) ou le refroidissement (Cooling-as-a-Service), les clients ne sont facturés que pour la quantité de chaleur ou de froid consommée. Cela permet d’éliminer les coûts initiaux élevés des technologies modernes, tout en garantissant une redevance mensuelle convenue en échange du service fourni. Les entreprises peuvent passer de dépenses d’investissement élevées à des dépenses opérationnelles, en se concentrant sur leurs activités principales. Pour les fournisseurs, cette solution apporte des revenus récurrents, de l’évolutivité, de la prévisibilité et de l’innovation centrée sur le client. Les bailleurs de fonds externes ont également la possibilité d’investir dans des actifs verts, en suivant l’impact des émissions, la consommation d’énergie et l’empreinte du cycle de vie. En adoptant de tels modèles commerciaux, les fournisseurs de solutions peuvent accroître l’adoption de solutions technologiques propres dans les bâtiments et au-delà.
Repenser les modèles d’entreprise comme une forme d’innovation
Dans le domaine des technologies propres, l’évolution des modèles d’entreprise entraîne une réévaluation profonde des chaînes de valeur, couvrant le financement, la conception des produits et les considérations relatives au cycle de vie. L’adoption de la servitisation incite non seulement les prestataires de services à évaluer avec précision les incidences environnementales, sociales et économiques de leurs solutions, mais favorise également l’efficacité énergétique systémique et la conception circulaire des bâtiments. Cette approche transformatrice, qui aligne les rendements sur la performance des actifs, oblige les fournisseurs de technologie à donner la priorité à la surveillance, à la maintenance et à la création de systèmes robustes et modulaires. La servitisation permet de surmonter la complexité perçue des solutions énergétiques propres par les utilisateurs, tout en leur fournissant une énergie propre et efficace sans tracas.
Réaligner les incitations sur la transition énergétique suisse
Afin de stimuler à la fois la demande et l’offre de technologies énergétiques propres en Suisse, l’initiative Servetia, menée par la Fondation BASE et le Centre Entreprise pour la Société (E4S)avec le soutien de la Fondation Valéry, renforce les capacités sur le modèle de la servitisation à travers des outils standardisés (contrats, modèles de tarification, structures d’investissement et documentation) pour soutenir le secteur du bâtiment suisse dans sa transition énergétique tout en contribuant au paysage du financement vert. Cet effort s’appuie sur les succès antérieurs du déploiement du modèle « as-a-service » dans les bâtiments commerciaux et industriels.
La collaboration de 2022 entre BASE, le fournisseur de refroidissement Energy Partners Refrigeration (EPR) et des bailleurs de fonds externes en est un exemple notable. Elle a débouché sur un projet de modernisation de l’ensemble du système de réfrigération d’une usine appartenant à Clover, l’une des plus grandes sociétés laitières d’Afrique du Sud, afin de fournir 10 MW de refroidissement. L’adoption de réfrigérants durables, de systèmes photovoltaïques et d’un système de récupération de la chaleur dans le cadre de l’initiative « Cooling-as-a-Service » a permis une transformation significative, conduisant à des réductions de carbone supérieures à 6500 tonnes de CO2 par an, pour une valeur d’investissement de 8,8 millions d’euros. Notamment, au cours des premiers mois d’exploitation, Energy Partners a observé une amélioration de près de 40 % de l’efficacité énergétique, dépassant ainsi les estimations initiales. De même, à Singapour, le modèle Cooling-as-Service de BASE a permis au fournisseur de refroidissement KAER de fournir 11600kW à un grand centre de données, avec un système de surveillance 24/7 qui, sans investissement initial, a permis à l’utilisateur final d’économiser 90% de la main d’œuvre précédemment nécessaire pour faire fonctionner l’installation.
En Suisse, avec de nombreux changements encourageants dans sa récente loi sur le climat, le marché est mûr pour un déploiement à grande échelle des technologies d’énergie propre, grâce à des cadres réglementaires toujours favorables. Le développement accru des réseaux intelligents et des communautés énergétiques locales, les politiques de facturation nette, les crédits d’impôt ainsi que les programmes de subvention et les fonds pour l’efficacité énergétique qui ciblent l’utilisation des énergies propres et vont au-delà des investissements subventionnés traditionnels, qui sont importants en soi, favoriseraient tous la mise en œuvre de la servitisation et une adoption plus large des technologies énergétiques propres et efficaces.
Dans cette optique, des initiatives telles que « Prêt à voter » de la Fondation Solar Impulse sont essentielles pour mettre en place les politiques et les cadres adéquats qui pourraient contribuer à galvaniser l’action collective en faveur d’une transition énergétique accélérée.