La start-up deeptech Toopi Organics a trouvé dans l’urine humaine une ressource économique d’avenir. D’ici cinq ans, elle en collectera plus de 50 millions de litres pour soutenir sa production de bactéries utilisées dans les domaines agricoles ou industriels.
L’idée n’est pourtant pas neuve. Jusqu’au début du XXe siècle, l’urine “brute” est utilisée comme fertilisant dans l’agriculture. A l’époque, on recycle plus de 60 % de l’azote présente dans les déjections des Franciliens selon le Laboratoire Eau, Environnement et Systèmes Urbains (Leesu). Plus d’un siècle plus tard, « l’objectif est de remettre en place une boucle vertueuse », explique Michael Roes, co-fondateur de Toopi Organics.
Car, l’urine humaine est aujourd’hui traitée de façon « coûteuse » (chasse d’eau), et énergivore (stations d’épuration). « Elle souille 6 000 milliards de litres d’eau potable par an en Europe. Dans l’histoire, beaucoup ont pensé utiliser l’urine comme un engrais, car elle contient de l’azote, du phosphore et du potassium, sauf que ces minéraux s’y trouvent en quantité trop faible » rappelle le co-fondateur. A la différence des entrepreneurs qui tentent de faire de l’urine un simple engrais, lui a l’idée de la transformer en ressource dans le domaine de l’agriculture et, demain, de l’industrie.
“Soit on continue à creuser des mines, à utiliser du pétrole et du gaz pour produire des engrais, soit on se met à recycler l’urine »
C’est après avoir quitté un job de commercial qui ne le satisfaisait pas que Michaël Roes se met à cultiver son potager. Petit à petit, son projet grandit, et du potager il passe à la fabrication d’engrais à base de plantes qu’il commercialise dans le secteur agricole notamment. Très vite l’entrepreneur découvre les nombreuses contraintes qui entourent la production d’intrants. Epaulé par son associé Pierre Huguier, docteur en écotoxicologie du sol, Michaël Roes décide d’utiliser l’urine comme milieu de culture pour y développer des bactéries qui, une fois épandues dans les champs, participeront à la croissance des plantes. Pour ce faire, les équipes de Toopi Organics récupèrent de l’urine (via des festivals, établissements scolaires, aires d’autoroute, ou établissements comme le Futuroscope) qu’ils stabilisent afin d’éviter tout risque hygiénique, puisqu’ils y développent des bactéries. C’est cette solution qui sera par la suite appliquée dans les champs. Selon l’entreprise, dilué dans suffisamment d’eau, un litre de son engrais aiderait à la fertilisation d’un champ d’un hectare.
Pour la deeptech, se tourner vers l’urine est une réponse au défi environnemental. Selon lui, jeter ce fluide corporel aux égouts est un immense gâchis, « 65 à 85 % des nutriments que nous ingérons se retrouvent dans les urines, dont nos rejets viennent polluer le cycle de l’eau ». Sans compter que récupérer l’urine pure permet d’économiser de l’eau potable.
Si notre urine est composée à 90 % d’eau, 3 000 substances chimiques constituent les 5 % restants. Des substances dont les plantes raffolent puisqu’elles sont nécessaires à leur bon développement. « Donc soit on continue, ad vitam aeternam, à creuser des mines, à utiliser du pétrole et du gaz pour fabriquer des engrais, soit on se met à recycler l’urine ».
20 unités de transformation et 50 millions de litres collectés d’ici cinq ans
Quelques mois après leur lancement, en février 2019, le discours des deux hommes convainc l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) de soutenir le projet et de leur octroyer une aide de plusieurs millions d’euros.
« L’urine c’est notre pétrole, insiste le cofondateur. Il s’agit d’une matière première disponible en grande quantité et aux usages industriels multiples, de la production d’acides à celle de protéines pour l’alimentation animale ». La collecte de ce nouvel or jaune est évidemment un axe stratégique pour la start-up deeptech qui a déjà disposé des urinoirs spécifiques, sans eau, sur une douzaine de sites à forte fréquentation : collègues, lycées, entreprises ou même stades sportifs. Pour l’heure, Toopi Organics collecte 3 millions de litres par an, mais projette d’en rassembler un minimum de 50 millions de litres d’ici cinq ans.
Depuis février dernier, la solution nutritive urino-sourcée de Toopi est étudiée par l’équipage 240 de Club Mars encadré par l’ISAE-SUPAERO (institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace). Actuellement dans le désert de l’Utah, dans la station The Mars Society, l’équipage devra analyser l’effet de l’engrais sur la croissance de l’algue spiruline. Et l’entreprise est loin de vouloir s’arrête là. Déjà lauréate d’une trentaine de concours, dont i-Nov et i-Lab, mais aussi membre du French Tech Green20, la jeune deeptech ambitionne de monter une vingtaine d’unités de transformations, une par métropole française. « Ses unités seront l’interface entre la ville, où il y a beaucoup d’urine, et la campagne où il y a besoin de fertilisant. Une économie compatible avec les trajectoires carbone annoncées ne pourra pas se passer d’urine », conclut Michaël Roes.