Le tatouage est au cœur d’une étude qualitative* menée par Sarah Alves et Vincent Meyer, enseignants-chercheurs à l’EM Normandie, auprès d’individus tatoués et d’employeurs travaillant en France et qui révèle des préjugés tenaces à l’égard des personnes tatouées dans le milieu professionnel.
Le tatouage est un phénomène répandu en France comme à l’étranger et les récentes polémiques autour des tatouages des Miss France et de la législation interdisant le métier de tatoueur en Corée sont emblématiques du caractère inflammable du sujet. Pourtant, de plus en plus de personnes ont recours au tatouage. En 2018, plus de 18% des Français étaient tatoués, en particulier les 18-35 ans, contre 14% en 2016 et 10% en 2010 (IFOP).
Cette enquête menée par Sarah Alves et Vincent Meyer, enseignants-chercheurs à l’EM Normandie, dévoile que, malgré l’apparente acceptation sociale du tatouage, les personnes tatouées souffrent de discrimination. Elles font l’objet d’a priori négatifs, alimentant des idées préconçues au sujet de leurs compétences et de leur crédibilité au travail. Alors que de nombreuses discriminations sont aujourd’hui documentées et combattues, celle liée au tatouage peut être classée parmi les discriminations invisibles.
Si les mentalités évoluent et si le tatouage semble globalement accepté dans les discours, il reste porteur de puissants stéréotypes en France. L’étude souligne que les personnes tatouées sont encore aujourd’hui perçues comme peu sérieuses, peu fiables, extrémistes, moins compétentes ou moins performantes. Ces résultats s’inscrivent dans le sillage d’études américaines (Kluger, 2015) ** selon lesquelles ces personnes sont décrites comme plus rebelles (50%), moins attirantes (45%), moins sexy (39%), moins intelligentes (27%), moins saines et moins spirituelles (25%). Elles seraient aussi plus extraverties, moins conformistes, consommatrices de substances illicites et enclines à la prise de risques.
Dans le milieu professionnel, toutes ces perceptions véhiculent de puissants stéréotypes et les personnes tatouées sont alors considérées comme moins responsables, qualifiées, impliquées ou compétentes et même plus malhonnêtes que leurs pairs non-tatoués. Ces idées reçues conduisent ainsi de nombreuses personnes à dissimuler leurs tatouages sur leur lieu de travail par crainte d’être jugées négativement par leurs collègues et supérieurs hiérarchiques.
Un gâchis pour les employeurs
L’enquête révèle que pour les personnes tatouées, le tatouage revêt une signification très personnelle. Il est souvent l’expression d’un épisode de vie dont elles souhaitent garder une marque corporelle indélébile qui fait partie intégrante de leur identité. Or, l’étude met également en lumière l’adage selon lequel les tatouages ne sont pas un problème au travail… tant qu’ils restent invisibles, et plus particulièrement aux yeux des clients de l’organisation. De ce fait, nombre de personnes tatouées sont contraintes de cacher leurs tatouages par défaut. Cette auto-censure entrave leur capacité à s’exprimer pleinement au travail et entraîne des conséquences sur leur satisfaction et leur engagement professionnel, les rendant ainsi moins productives en entreprise.
Ces résultats doivent donc inciter les employeurs à repenser leur politique d’inclusion vis-à-vis de leurs collaborateurs mais aussi de leurs clients et à engager une réflexion sur la pression sociale liée aux normes d’apparence physique.
Enfin, l’étude souligne un paradoxe : alors même que de plus en plus d’entreprises travaillent à l’amélioration de leur marque employeur, les résultats montrent que les salariés pourraient considérer ces efforts comme vains ou contre-productifs, si, dans les faits, les tatouages sont considérés comme un sujet délicat par ces mêmes employeurs.
Une recherche dans la durée afin de lutter contre les discriminations invisibles et favoriser l’inclusion
Compte tenu de l’essor du tatouage en tant que phénomène culturel encore insuffisamment étudié, les enseignants-chercheurs ont décidé de poursuivre leurs investigations et proposent aux personnes tatouées travaillant en France de participer à une nouvelle enquête sur le tatouage au travail.