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La maximisation du profit sous contrainte énergétique, la nouvelle équation des multinationales

En 2022, les principales compagnies pétrolières ont doublé leurs bénéfices.
Neal Wellons/Flickr, CC BY-SA

Bernard Guilhon, SKEMA Business School

La décennie 1980 marque l’irruption des grands groupes dans l’espace mondial de la production et des échanges et le transfert des droits de décision à des fournisseurs localisés à l’étranger. Grâce aux technologies d’information et à la numérisation, le mouvement de découpage, d’externalisation et de délocalisation des tâches, appelé globalisation, a permis la mise en place de chaînes de valeur mondiales caractérisées par une forte intensité des relations et une baisse des coûts de transaction.

La fluidification de l’espace mondial a accru la mobilité de la production des biens et services permise par un arbitrage entre la propriété (investissements directs à l’étranger) et la coordination (relations contractuelles avec les fournisseurs). Le décentrement de l’analyse vers les tâches productives et de services plutôt que vers les biens fournit le cadre théorique de cette démarche : les chaînes de valeur renforcent l’avantage concurrentiel en abaissant le coût du travail pour des compétences de même niveau.

Cette organisation est en grande partie remise en cause aujourd’hui.

L’importance des actifs primaires

Une vague néo-protectionniste submerge le monde. Le recentrage de la Chine sur son marché intérieur, la guerre en Ukraine, la segmentation poussée des chaînes de valeur avec pour conséquence la difficulté de contrôler l’ensemble du processus de production et l’influence grandissante du risque géopolitique, ont à la fois ralenti le processus de globalisation et l’ont réordonné géographiquement, ce qui conduit à un périmètre plus réduit de l’occidentalisation.

La dislocation de l’espace mondial ne signifie pas la fin de la globalisation, mais une nouvelle conception de l’intégration économique privilégiant l’accès aux actifs primaires. C’est le cas de la Chine qui se globalise par les infrastructures et construit les « routes de la soie » en élaborant des accords portant sur des actifs bruts (licences d’exploitation des matières premières, achat de terres cultivables).

Le projet de portail mondial de la Commission européenne, d’un montant de 300 milliards d’euros d’investissements public et privé entre 2021 et 2027 (Global Gateway) vise à financer des projets d’infrastructure hors de l’UE dans le but de contrer les routes de la soie chinoises et à accéder à des matières premières sensibles (terres rares, lithium), que l’UE importe aujourd’hui de Chine.

En fait, de nombreuses entreprises européennes sont soumises à une double contrainte : l’accès à l’énergie (actif primaire) et la décarbonation de l’activité. Les effets économiques sont considérables, y compris chez les fournisseurs. La compétitivité de l’ensemble de la chaîne de valeur est menacée.

OCDE (2023)

On peut citer le cas de l’équipementier aéronautique français Safran, qui a ajourné fin 2022 son projet d’usine de freins carbone à Feyzin (Rhône) et accroît la production des usines déjà localisées aux États-Unis et en Malaisie, puis effectue en un second temps un investissement direct aux États-Unis, pays dans lequel le prix de l’énergie est resté stable ces deux dernières années (l’énergie représente 40 % du coût de fabrication des freins carbone).

La primauté de la demande

L’accès aux actifs primaires n’offre qu’une explication partielle de la recomposition des objectifs et des modalités d’organisation des firmes globales. La numérisation et la gestion des écosystèmes ont modifié les relations entre les coûts du travail et les prix, en particulier dans les secteurs dans lesquels l’inflation progresse sous l’influence de la demande.

La stratégie des entreprises est d’accroître les parts de marché et de maximiser leurs chiffres d’affaires de façon à atteindre des positions quasi monopolistiques (électronique, aéronautique, chimie, pharmacie, etc.) La profitabilité réside avant tout dans la capacité d’exploiter les opportunités de croissance et d’anticiper les modifications de la demande, notamment lorsqu’elle exige l’usage de « technologies propres ».

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La recherche de l’avantage concurrentiel privilégiait les coûts du travail et la productivité que la démultiplication des tâches dans les chaînes de valeur favorisait. Les chaînes de valeur, recomposées sur le plan régional et plus morcelées, exigent aujourd’hui une normalisation technologique poussée : Safran précise qu’il n’y a pas d’action de décarbonation sans transformation du capital productif de tous les fournisseurs, pour être en mesure de respecter les normes internationales de certification des émissions de CO2 pour les avions.

Le salaire n’est pas la variable fondamentale dans la réorganisation des grandes entreprises. Ce qui devient crucial, ce sont les coûts de formation et de mobilité de la main-d’œuvre. En revanche, le coût du capital dans la transition écologique exige la maximisation du chiffre d’affaires pour permettre le déclassement des équipements, le financement de lourds investissements en nouvelles technologies, la fermeture de certaines unités.

La demande d’avions commerciaux reste très forte aux États-Unis (avions neufs et rénovation), ce qui justifie l’investissement de Safran qui possède 55 % de parts de marché sur le segment des avions commerciaux de plus de 100 places, devant l’américain Collins Aerospace (Raytheon Technologies). En 2021, ce sont les industries les plus concentrées qui ont connu les plus fortes hausses de prix, ce qui facilite la croissance du chiffre d’affaires et le maintien de marges de profit élevées (11,2 % pour les grandes entreprises du S&P 500).

Par ailleurs, la décarbonation est un moyen d’attirer de nouvelles compétences, principalement celles des nouvelles générations, sensibles à ces nouveaux enjeux.

Qu’en est-il des Big Oil ?

Ces entreprises (ExxonMobil, Chevron, BP, Shell et TotalEnergies) doublent leurs bénéfices en 2022 (219 milliards de dollars) en surproduisant pour répondre à une demande qui explose du fait des risques géopolitiques. Le cas de TotalEnergies est significatif d’un comportement oligopolistique qui vise à maximiser le chiffre d’affaires (augmentation de 60 % entre 2021 et 2022) et le résultat net (19,47 milliards d’euros en 2022).

Le développement de l’entreprise passe d’abord par le renforcement de la part de marché permis par une politique à long terme d’acquisitions (2011-2018) : de 60 % de la société US SunPower, de Saft Groupe, de Lampiris, de Direct Energie, etc. Cette stratégie de « glocalisation » (déploiement mondial sur 130 pays conjugué à un ancrage local) permet le développement d’une diversification multiénergies sous la contrainte que les produits amont (pétrole et gaz) doivent régresser progressivement à mesure que les investissements sont orientés vers les énergies renouvelables et à faible émission de carbone.

Le coût du capital se renchérit à la fois pour mener à leur terme les projets d’exploration et de production en cours et pour favoriser le réinvestissement dans d’autres secteurs, le risque étant de déclasser trop rapidement certains capitaux qui exigent d’être comblés par un surcroît d’investissements. L’entreprise a pour objectif d’être un acteur majeur de la transition énergétique et de devenir, en engageant notamment ses fournisseurs, un des cinq premiers producteurs mondiaux d’électricité solaire et éolienne en 2030.

D’autant qu’aux États-Unis, l’Inflation Reduction Act, adoptée en août 2022, permet aux entreprises d’un grand nombre de domaines d’activité (du nucléaire à l’hydrogène en passant par les voitures électriques et l’isolation des maisons individuelles), quelle que soit leur nationalité, de bénéficier de 369 milliards de dollars de subventions pour verdir leur production, sous forme d’aides à l’investissement ou de crédit à la production.The Conversation

Bernard Guilhon, Professeur de sciences économiques, SKEMA Business School

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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