Ecrit par Bertrand Piccard
En participant à la COP, je suis quotidiennement confronté à la complexité et aux innombrables nuances de la transition écologique, mais également surpris par les paradoxes qui en découlent. En voici quelques exemples.
A première vue, faire présider les négociations climatiques par un grand producteur de pétrole semble absurde, le président de la COP, Sultan Al Jaber, étant considéré par certains comme un agent pas si secret que cela de l’industrie fossile. En outre, près de deux mille cinq cents lobbyistes de ce secteur ont été autorisés à participer à la conférence, un nombre record. Pourtant, c’est lors de cette COP que 50 compagnies pétrolières et gazières – représentant plus de 40 % de la production mondiale de pétrole et dont les deux tiers sont des compagnies pétrolières nationales – ont signé une charte de décarbonisation visant à s’aligner sur l’objectif de net zéro d’ici 2050. On peut dire que c’est lent et peu ambitieux, mais c’est tout de même le plus grand nombre de compagnies nationales pétrolières à s’engager dans une initiative de décarbonation. Un autre record, donc, positif celui-ci. C’est aussi la première fois que les pétroliers sont directement identifiés dans les documents officiels.
Pendant la cérémonie d’ouverture, une autochtone brésilienne en tenue traditionnelle, parée de plumes, explique aux chefs d’Etats du monde entier que ses ancêtres avaient prédit la disparition de l’Arbre Sacré. On peut juger cela inefficace, mais que dire de ce patron d’une entreprise de 14.000 employés qui m’expliquait que le climat n’était pas dans son radar jusqu’à sa première COP, où tout bascula pour lui lors d’une rencontre avec des activistes Pakistanais manifestant pour faire connaître les inondations catastrophiques qui frappaient leur terre natale?
La décarbonation ne vient pas toujours de là où l’on croit. J’ai rencontré le propriétaire d’une entreprise gazière qui affirme faire beaucoup mieux que Tesla pour protéger l’environnement : “J’évite 5 millions de tonnes d’émissions de CO2 en vendant du gaz pour remplacer le charbon, alors que Tesla n’évite que 4,5 millions de tonnes en remplaçant des moteurs thermiques par des moteurs électriques”. Greenwashing? Fabulation? Vérité disruptive?
Je continue dans les paradoxes ? On entend que la mobilité électrique n’a aucun avenir tant que la production électrique est sale. Mais regardons de plus près. Un moteur thermique a au maximum 27% de rendement, donc il gaspille les trois quarts de son carburant. Une centrale au charbon avec cogénération de chaleur et d’électrons et munie de filtre à particule arrive à un rendement de 80%. Si ce courant alimente un moteur électrique, qui a plus de 90% de rendement, on arrive à 72% de rendement, soit quasiment 3 fois mieux que le moteur thermique. On est parfois surpris par les chiffres.
Allons plus loin. On dit que les voitures électriques sont trop chères. Alors ceux qui souffrent de la pollution clament qu’ils n’ont pas envie de mourir parce que les pauvres ne peuvent pas s’acheter une voiture électrique. Et pendant ce temps là on entend ceux qui n’ont pas envie de mourir de pollution parce que les riches ont des yachts et des jets privés. Mettra-t-on bientôt tout le monde d’accord avec les voitures électriques chinoises à 15’000 euros qui commencent à inonder le marché?
Je ne voudrais pas faire l’impasse sur ce cycliste arrivé à Dubai en vélo depuis l’Allemagne, en 222 jours, et qui se montre en exemple avec son casque sur la tête dans les allées de la COP. Il veut amplifier les critiques visant les participants à la COP qui viennent en avion. Mais en même temps, la plupart des résultats obtenus ici se font dans des rencontres impromptues qui seraient impossible en visio. Que doivent donc faire tous ceux qui n’ont pas le temps, ni les mollets, pour pédaler pendant 7 mois et demi ?
Quand on dit que la transition énergétique est rentable, celà revient à prédire que ceux qui l’adopteront feront plus de bénéfices que les tenants du statu quo. Et vous, si on vous propose de gagner 50 tout de suite en ne bougeant pas, ou 100 plus tard en vous engageant, que choisirez-vous? Ici, à la COP, on dirait que beaucoup choisiraient les 50.
On voit bien la complexité de l’action climatique et l’impasse dans laquelle on se met avec des idéologies, des aprioris et des stéréotypes. Quel est l’élément de la recette qu’on oublie trop souvent? La nuance et la complémentarité des actions.
Idées opposées, perspectives contradictoires, et forces apparemment incompatibles doivent coexister pour permettre à l’humanité de relever le défi existentiel du changement climatique. Les Chinois le savent depuis longtemps avec leur philosophie du Yin et du Yang. Seraient-ils dans ce domaine en avance sur nous ?
Publié pour la première fois par La Tribune, EFFE Verde, La Repubblica et Forum Nachhaltig Wirtschaften.