Et si le développement des biocarburants était une des solutions pour décarboner le secteur des transports ? Bpifrance prend position et fait le point sur les besoins de la filière pour devenir un acteur clé de la lutte contre le réchauffement climatique. [Biocarburant : Position Paper]
La France est en pointe dans le domaine des biocarburants. Elle possède tous les atouts, notamment une biomasse exploitable suffisante, pour répondre aux besoins de décarbonation des transports, en commençant par le secteur du trafic aérien. Principal débouché des biocarburants, ce secteur fixe des objectifs ambitieux pour leur utilisation à grande échelle, mélangés à du kérosène classique.
Néanmoins, pour décoller, la filière du biocarburant a besoin de se structurer, afin de mieux collecter les résidus et déchets en amont, et de mettre en place des dispositifs de soutien à l’ensemble des acteurs. Tour d’horizon des enjeux et des avancées dans ce domaine avec les experts de demain.
Une source d’énergie stratégique pour atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050
« Un carburant liquide utilisé pour le transport et produit à partir de la biomasse ». C’est ainsi que la Directive RED II de 2018 (Renewable Energy Directive) définit un biocarburant. Source d’énergie liquide (ce qui exclut le biogaz) issue du vivant – végétal, animal ou microbien – un biocarburant est par nature renouvelable à l’échelle d’une vie humaine, à l’inverse des énergies fossiles. Leur utilisation, en complément des énergies renouvelables, offre donc l’opportunité de réduire les émissions de carbone de façon substantielle et sans nécessité de saut technologique, puisque leur procédé de production est déjà parfaitement maîtrisé.
D’après le ministère de la transition écologique, le secteur des transports est le premier secteur émetteur de gaz à effet de serre en France, avec près de 30 %. Entre la hausse de la demande en transport routier de marchandise et la popularité de véhicules comme les SUV chez les particuliers, le secteur connaît une forte progression de ses émissions (+9 % entre 1990 et 2019). Dans ces conditions, la structuration d’une filière française des biocarburants est une priorité de premier rang pour répondre aux enjeux climatiques.
Connus depuis les débuts de l’industrie automobile, les biocarburants ont vu leur importance et leurs usages varier au gré du contexte pétrolier et des stratégies énergétiques et agricoles des Etats. Les noms des différents biocarburants renvoient très explicitement à leurs débouchés. On retrouve ainsi la bio-essence (de l’éthanol, issu principalement du sucre ou d’amidon), le biodiesel et le biokérosène (tous deux issus principalement des huiles végétales), qui peuvent tous être utilisés de façon pure, ou mélangés avec des carburants classiques, dans les moyens de transport routier ou aérien.
Les biocarburants, associés à d’autres solutions technologiques, tels que l’électrique ou l’hydrogène, font partie du mix des solutions de décarbonation des transports. Au global, ils affichent un meilleur bilan carbone que les carburants fossiles, entre 37 % et 82 % de réduction en moyenne, en fonction des méthodes de calcul et en fonction des sources. Mais de nombreux facteurs influencent fortement ce potentiel de réduction, tels que le type de matière première utilisée, les procédés industriels employés, la logistique associée ou bien encore les usages finaux. Il faut également prendre en compte les changements indirects d’affectation des sols.
L’aérien pourrait devenir le principal débouché des biocarburants
La production de biocarburants conventionnels, issus de productions agricoles, n’augmentera pas dans l’Union européenne (UE) afin de préserver les terres arables. En concurrence avec la production alimentaire, elle est régulièrement pointée du doigt lors des périodes de pics des prix céréaliers. Aussi, au sein de l’UE, un compromis semble avoir été trouvé entre contribution à la décarbonation des transports routiers et préservation des ressources alimentaires, en plafonnant à 7 % leur part dans la consommation énergétique finale. Ainsi cette filière à la technologie mature est déjà bien activée et des relais doivent maintenant être trouvés parmi les filières de production les plus innovantes.
En miroir de ces tensions agricoles, d’autres types de biocarburants dits “avancés”, qui mobilisent des huiles usagées, des graisses animales, des matières premières lignocellulosiques (issues de végétaux ou du bois), ou des biodéchets, émergent. Permettant de préserver les surfaces de production alimentaire – enjeu crucial dans un contexte de forte croissance démographique, qui plus est une solution crédible, au côté de la sobriété énergétique, pour la décarbonation des transports, en particulier l’aérien.
En effet, la France dispose d’une quantité importante de biomasse exploitable en tant que puissance agricole et forestière, sans viser une production dédiée (déchets issus des filières agricoles et forestières notamment). Leur production est déjà en cours sur le territoire français, ou en passe de l’être. La raffinerie de Total à la Mède produit actuellement du biokérosène à partir d’huiles de cuisson usagées et de graisses animales. Deux projets en phase de commercialisation, Futurol et BioTfuel, permettront respectivement de produire du bioéthanol, du biogazole et biokérosène, à partir de biomasse lignocellulosique. Ces biocarburants étant miscibles avec les carburants fossiles, leur distribution ne pose pas de problème majeur.
Le secteur aérien sera a priori le principal débouché de ces biocarburants avancés. L’émergence de technologies de motorisation de rupture (type hydrogène ou batterie électrique) n’est pas attendue à court ou moyen terme, alors que le secteur s’est doté d’objectifs et de cadres réglementaires ambitieux en termes d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre, avec pour cible l’incorporation de 50 % de biokérosène en 2050 en France (objectif intermédiaire de 5 % en 2030).
Le secteur des transports routiers, même s’il se détournera progressivement des motorisations thermiques, n’aura recours que marginalement aux biocarburants conventionnels (via le taux plafonné à 7 % dans la consommation énergétique finale au niveau de l’UE). Cela laisse de la place à moyen terme pour les biocarburants avancés qui pourront trouver des débouchés supplémentaires sur ce marché.
Stimuler le développement d’une filière des biocarburants forte et innovante
Si la disponibilité actuelle de la biomasse en France est un de nos atouts, nous devons faire face à deux sources de tension. Une première source de tension concerne la compétition d’usage de la biomasse. Celle-ci est actuellement mobilisée par d’autres filières de valorisation, telles que la méthanisation (production de biogaz), la production de chaleur renouvelable ou bien aussi le retour au sol, usage « historique » permettant d’améliorer la fertilité des sols agricoles.
Seconde source de tension : le défi que représente la récupération et la distribution de la biomasse sur tout le territoire, de façon efficace. En effet, la ressource est diffuse par nature, de qualité hétérogène, dépendante de la météo et à faible valeur énergétique. Cela oblige à multiplier les sites de valorisation et d’adapter les technologies au cas par cas. De grands industriels devraient sans doute plus s’y intéresser.
De son côté, le développement de la production de biokérosènes avancés nécessite la mise en place de conditions favorables. Par nature, ce type de projet nécessite des financements massifs, alors qu’actuellement le retour sur investissement n’est pas clair. Le biokérosène est in fine deux à huit fois plus cher que le kérosène fossile, ce qui crée beaucoup d’incertitudes quant à la demande future pour ce type de carburant.
L’Etat, quant à lui, ne fournit pas suffisamment de visibilité et de stabilité à long terme, comme l’indiquent certains industriels ou experts rencontrés. Il s’agirait donc de mettre en place une réglementation stable, ainsi que des mécanismes incitatifs forts, bénéficiant à tous les acteurs de la chaîne de valeur. L’augmentation du taux d’incorporation de biocarburants avancés dans le mix global par obligation réglementaire ou encore l’affectation (obligatoire ?) d’une partie de la biomasse à la filière biocarburants sont des pistes envisageables.
L’enjeu est de parvenir à structurer, organiser et stimuler les différents acteurs. Cela sera déterminant pour l’orientation des flux de biomasse vers les biocarburants et le développement de filières industrielles fortes et innovantes. Du fait des contraintes inhérentes au secteur, il y aura de la place pour plusieurs consortiums d’acteurs, permettant de diversifier les procédés, la localisation et la taille des unités industrielles, rendant la filière encore plus résiliente et innovante. Avec à la clé une diminution des émissions de CO2.