Jean-Michel Bocquet, Université Sorbonne Paris Nord
Le 1er janvier 2018, le Président Macron a donné à voir une petite vidéo appelée « Vœux 2018 à la jeunesse ». Dans cette vidéo, le président appelle les jeunes à s’engager, dans les consultations sur l’Europe et pour la cohésion nationale. Cette injonction peut apparaître comme une demande légitime faite à la jeunesse de notre pays pour construire le monde de demain.
Le premier ministre avait, quant à lui, défendu le 9 novembre 2017 l’idée « d’une société de l’engagement » comme ambition nouvelle pour les associations. On trouve dans les annonces du premier ministre essentiellement des mesures permettant de valoriser le bénévolat et « la valeur du bénévolat ».
Mais que signifie l’engagement ? Et pourquoi semble-t-il être la solution toute trouvée aux politiques publiques de jeunesse et associatives ? L’engagement au fond ne permet-il pas plutôt de construire une société basée sur des idées libérales d’un point de vue économique et conservatrices sur la structuration de celle-ci ? Enfin, l’engagement ne peut-il être remplacé par le militantisme afin d’y remettre une dimension politique ?
Qu’est-ce que l’engagement ?
L’engagement est l’action de s’engager, et s’engager… c’est mettre en gage, déposer quelque chose en garantie. La jeunesse devrait donc mettre quelque chose en garantie auprès de la France pour celle-ci puisse la lui rendre si tout se passe bien ? Les définitions du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales nous rappellent que l’engagement désigne aussi une situation dans laquelle on se met à disposition de quelqu’un par contrat ou promesse, la notion de contrat évoquant, elle aussi, l’idée de garantie.
Si le mot engagement est pris dans ce sens, cela signifie que la jeunesse doit mettre un temps à la disposition de la France, ce « dépôt en garantie » assurant qu’ils participent bien à la cohésion nationale, comme pour le service national ou militaire obligatoire. Néanmoins, même si cette idée est dans un carton, le président parle d’un engagement que devrait prendre chaque jeune, de lui-même, pour la France, parce que « lorsqu’il a fallu [l]’éduquer, c’est la France qui était là ». Volontairement et librement, le jeune devrait se demander que faire pour la France, parce que la France a fait des choses pour lui.
Observons les dispositifs de politiques publiques mis en œuvre depuis plusieurs années : service civique, « la France s’engage », volontariat ou bénévolat. Tous ces dispositifs reprennent les discours des associations expliquant que l’engagement porte en lui des valeurs fortes, qu’il permet de prendre des responsabilités et de construire la société.
L’engagement n’existe que s’il est libre et volontaire, tout le contraire de l’engagement contractuel avec dépôt de garantie.
S’engager comme volontaire… Service civique, volontariat en entreprise…
Les sondages réalisés sur le service civique montrent que les jeunes qui s’engagent cherchent à la fois de l’expérience professionnelle et à se sentir utile socialement. Mais lorsque j’interroge mes étudiant·e·s en master de travail social, ceux-ci estiment que le service civique vient combler une année sans étude (en raison d’une réorientation ou de la sélection), remplacer un stage que les employeurs associatifs ne veulent/peuvent pas payer, ou qu’ils prennent cet « engagement » pour ne pas à avoir à travailler ailleurs.
Ils·elles imaginent que le service civique, parce qu’associatif, sera davantage porteur de sens que le travail de caissier ou d’agent de restauration rapide. En fait, ce qu’ils trouvent une fois en poste est un emploi comme les autres avec les mêmes contraintes voire davantage. Peut-on dire que les jeunes sont alors « libres et volontaires » pour ce type d’activité ? Compte tenu de la situation des universités, du marché de l’emploi, ces jeunes n’ont en réalité pas d’autre choix que d’accepter ces missions et/ou postes peu rémunérés (580 euros par mois). L’engagement peut être alors l’argument permettant à des employeurs publics ou associatifs de verser de faibles salaires.
Ajoutons à cela que, pour s’engager en service civique, on postule à une mission définie par une association, qui a reçu un agrément. Même si la loi affirme qu’il ne s’agit pas d’un emploi, ce sont les mêmes procédures et procédés qui sont utilisés pour « recruter » un jeune en service civique.
Dans le volontariat international en entreprise (VIE), l’autre dispositif public de soutien à l’engagement des jeunes, le volontaire touche au minimum 723,99 euros, plus une indemnité géographique (minimum 1 650 euros) payée par l’entreprise, mais avec un cadre de gestion publique et des avantages fiscaux. Il existe, donc, deux formes d’engagement à deux tarifs différents : l’intérêt général, mal payé, et l’entreprise à l’étranger, mieux payé.
S’engager comme bénévole… dans un cadre
Pour être bénévole, il faut pouvoir l’être : avoir du temps, et des conditions de vie qui le permettent. À part les enfants de milieux favorisés, il est difficile pour les jeunes de réunir ces conditions, notamment en raison du coût de vie étudiante et des obligations de présence et de réussite dans les études.
À cette difficulté, il faut ajouter l’utilisation du droit et de la menace qui gênent ou empêchent l’engament totalement libre dans la création de nouvelles formes d’actions : pénalisation de créations artistiques (tags, rap, hip-hop, etc.), fausses informations (dernièrement l’article du Journal du Dimanche sur la ZAD de Notre-Dame des Landes), dénonciation médiatique empêchant l’accès à des salles, à des aides (ex : association Lallab).
Si certains tentent de remettre en cause la façon dont notre société fonctionne, même de façon pacifique, cette contestation peut même les amener à être poursuivis, comme l’illustre l’exemple de la judiciarisation et de la condamnation des personnes accueillant des migrants.
Il y a donc le bon engagé celui que la société veut bien reconnaître comme légitime et le mauvais qui ne s’inscrit dans ces chemins tracés par d’autres.
S’engager dans la participation…
Le Président demande aux jeunes de participer à de grandes consultations, notamment sur l’Europe. En fait, il s’agit de questionnaires (au mieux) ou de sondages (au pire) recensant l’opinion des jeunes qui y répondent. Personne ne sait vraiment ce qu’il ressort de ces questionnaires, qui les traite et s’ils influent vraiment sur les politiques publiques.
L’autre forme de participation sont les instances officielles de consultation comme le Conseil d’Orientation des politiques de Jeunesse (COJ) ou le Conseil Economique, Social et Environnemental (et ces versions régionales CESER). Pour participer à ces instances, il faut être membre d’organisations de jeunesse et les seules dirigées et présidées pour et par des jeunes sont soit les syndicats (UNEF, FAGE, UNL, etc.) soit la JOC et le MRJC, seules associations d’éducation populaire à dimension nationale exclusivement administrées par des jeunes. Les autres organisations qui siègent dans ces instances sont censées travailler pour des jeunes mais sont dirigées par d’autres générations.
L’engagement comme statu quo
L’engagement comme définit actuellement par les politiques publiques se résume à la participation à des instances et à des missions définies par d’autres en acceptant de travailler gratuitement ou avec un faible revenu.
Il ne s’agit pas tant de demander à la jeunesse de s’engager que de lui demander de s’engager uniquement dans les institutions et pour les causes que le pouvoir lui propose. Personne n’empêche un jeune de s’engager pour ses idées, mais l’institutionnalisation de l’engagement l’oblige à le faire dans des structures existantes, reconnues et agrées.
Un exemple permet de comprendre ce qui se joue dans ce détournement de la notion d’engagement au profit d’une incantation qui masque – mal – une libéralisation de notre société : celui des colonies de vacances.
Depuis plus d’un siècle, les colonies de vacances sont un espace qui a permis à des millions de jeunes de toutes origines de s’engager, de se former et de construire. Ces colonies sont aujourd’hui abandonnées au marché par les politiques publiques. L’engagement, l’action des jeunes y est réel, la prise de responsabilité effective, mais le volontariat n’y est pas reconnu. Les jeunes qui travaillent comme animateurs sont embauchés en Contrat d’engagement éducatif (CEE), ersatz de contrat de travail mal payé et non reconnu, permettant aux employeurs de faire travailler les animateurs 6 jours sur 7 et 24 heures par jour au prix minimum de 25 euros par jour.
Pourquoi dans ce secteur le volontariat n’a pas été décidé et cela malgré des demandes d’associations et de députés ? Il ne serait qu’une officialisation de l’existant. Il permettrait de séparer les colonies qui relèvent d’une politique publique, d’une action d’intérêt général de celles qui relèvent du tourisme et donc du marché.
Le volontariat obligerait les organisateurs à (re)penser les organisations puisqu’un.e volontaire n’est pas soumi·e·s à la hiérarchie, à (re)visiter les valeurs qui guident à l’action des colonies de vacances et sans doute d’inclure le brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur·trice/directeur·trice dans la valorisation du volontariat.
Mais peut être que la séparation intérêt général/marché n’ai plus si claire aujourd’hui. Quand une association rachète une société, on peut se demander si l’ambiguïté entre emploi et volontariat ne vient pas renforcer le glissement du monde associatif vers les logiques de l’entreprise et donc du libéralisme.
Peur de la jeunesse et libéralisme ?
L’État par la voix du Président de la République, demande, pour ne pas dire impose (ce sera peut-être le cas du service national universel) à sa jeunesse de donner du temps pour « une cause collective ». Pourquoi une telle demande n’est-elle pas faite à l’ensemble de la population ? Pourquoi spécifiquement aux jeunes ?
Cela traduit sans doute une certaine peur de la jeunesse (et d’une certaine jeunesse), la crainte que la jeunesse vienne remettre en question profondément la société existante.
Tout se passe comme si le libéralisme marchand cherchant à maintenir ses règles, il devrait maintenir les personnes dans une précarité ne leur permettant pas de penser à une autre société ; c’est-à-dire de faire vraiment de la politique. L’engagement tel qu’il nous est présenté permet de créer des soumissions, permet aux employeurs (société, associations, ou administrations) de trouver une main-d’œuvre qualifiée peu chère et serviable. Main d’œuvre à qui on fait croire que cet engagement porte des valeurs humanistes et solidaires, alors qu’il joue surtout sur le dépôt de garantie, le contrat et la servitude.
Les jeunes s’engagent en pensant mettre du sens dans leur vie, dans leurs actes, en pensant s’enrichir humainement, mais rapidement ils se rendent compte que ce qu’on leur a promis n’est qu’un simulacre, un leurre.
Faut-il abolir l’engagement ?
On l’aura compris, s’il s’agit ici de l’engagement tel que les pouvoirs nous le présentent, alors à cette question la réponse ne peut qu’être oui. Non pour faire disparaître toute notion d’investissement altruiste dans une cause, mais bien au contraire pour remettre à l’ordre du jour la notion de militant ; le militant en tant que porteur d’une notion politique forte, de lutte et d’action.
À l’image du pédagogue qui articule les valeurs, les savoirs et la pratique en même temps, le militant pense, agit et construit des savoirs hybrides. Il ne se place ni sous la domination des penseurs, ni dans un allant de soi exclusivement pratique, il cherche à articuler pensée et action dans une cohérence émancipatrice. Si l’engagé est l’outil permettant le prolongement des structures d’une société pensée par d’autres, le militant pense et agit pour construire demain. N’est-ce pas cela qu’il faut permettre à la jeunesse, penser un demain meilleur qu’aujourd’hui ?
En présentant ses vœux à la jeunesse de manière séparée, sur Internet et en insistant sur l’engagement, le Président Macron a clairement fait le choix d’envisager la jeunesse comme un outil de construction de la cohésion du pays mais en maintenant les structures en place. Il leur demande d’accepter cette mission en travaillant gratuitement ou à bas salaire et en se pliant aux injonctions données par d’autres.
Le premier ministre en voulant construire une « société de l’engagement » comme outil de politique associative demande (avec l’accord de certaines) aux associations d’utiliser les jeunes comme bénévoles ou volontaires. Aux quelques salariés, à la direction, aux retraités, les postes d’administrateurs, et aux « engagés » le travail de terrain. (Petites) indemnisations et précarité sont la règle. Être acteur de la solidarité, de la rencontre ou de l’aide n’est plus un travail mais un engagement, à l’image des services civiques dans les hôpitaux publics.
Deux discours qui se retrouvent et définissent une vision libérale et conservatrice de notre société où la solidarité, le care sont portés par des personnes précarisées par des dispositifs légaux. Dans ce monde dual, il y aurait d’un côté l’entrepreneur créateur de richesse, « premier de cordée », et son entreprise dans laquelle les personnes travaillent et de l’autre les associations, le service public, la solidarité qui coûtent et dans lequel les personnes s’engagent. La question qui reste à se poser est quelle société voulons-nous ? Celle de l’engagement de MM Macron et Philippe ? Ou une société de la solidarité et du care ?
Jean-Michel Bocquet, Pédagogue – Doctorant en Sciences de l’éducation CIRNEF, Université Rouen, Chargé de cours, Université Sorbonne Paris Nord
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.