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La commande publique pour promouvoir l’économie circulaire au niveau local

L’augmentation croissante de l’empreinte environnementale des activités humaines a contribué à l’émergence et au succès du concept d’économie circulaire. Popularisé à la fin des années 2000, il vise à tendre vers une économie sobre en ressources et minimisant les impacts environnementaux. Pour ses promoteurs, l’économie circulaire s’oppose à l’économie linéaire, qui caractérise notre mode de vie actuel : extraire (des ressources) – produire – consommer – jeter. À l’inverse, l’économie circulaire vise à « boucler » les flux de matières et d’énergie en mobilisant trois stratégies (les 3 R) : réduire (l’utilisation de ressources), réutiliser (les produits) et recycler (les matières). La transition vers l’économie circulaire suppose non seulement une transformation en profondeur des modes de conception, de consommation et de production des acteurs économiques, mais également celle des cadres juridiques et des formes d’action publique. À cet égard, les collectivités et les territoires ont un rôle clé à jouer dans le développement de ce nouveau système économique.

Le levier de la commande publique

L’économie circulaire se déploie en effet d’abord au niveau local sous forme d’écosystèmes où les « déchets » produits par certains acteurs deviennent les ressources d’autres acteurs du même territoire. L’économie circulaire peut ainsi parfaitement s’insérer dans une politique de développement économique orientée vers la création d’emplois locaux et une meilleure gestion des ressources territoriales. C’est là qu’intervient la commande publique qui reste à l’heure actuelle l’un des outils majeurs à la disposition des acteurs publics. D’abord par son poids économique prépondérant – l’Ademeestimait en 2016 que celle-ci représente une valeur économique d’environ 10 % du PIB et 200 milliards d’euros. Ensuite, par une certaine souplesse, les marchés publics pouvant s’appliquer à une grande diversité de produits, de services, de secteurs d’activité ; et être mobilisés par une grande variété d’acteurs publics opérant à divers niveaux de responsabilité territoriale (État, régions, département, établissements d’aménagement, villes…).

De nouveaux outils juridiques

Depuis une dizaine d’années, le cadre juridique de la commande publique n’a cessé d’évoluer au niveau national et européen pour favoriser l’intégration du développement durable et de l’économie circulaire dans les appels d’offres publics. Dès 2006, le code des marchés publics a été modifié pour prendre en compte les critères environnementaux, avec notamment l’introduction de la règle du choix du « mieux disant » dans l’article 53 qui se traduit par le fait que le critère du prix ne devient qu’un critère parmi les autres critères de choix possibles (qualité, social, environnement…). Mais c’est surtout en 2014, avec la directive européenne 2014/24/UE, que des changements notables ont été apportés à la commande publique, d’abord au niveau européen, puis au niveau national avec sa transposition en droit français. Ces évolutions juridiques ont permis aux acheteurs publics de pouvoir se référer au cycle de vie d’un produit dans la définition de l’objet d’un marché ; d’introduire des critères relatifs à l’économie circulaire dans les spécifications techniques et les conditions d’exécution d’un marché ; ou encore, de substituer le critère du prix d’achat par celui du coût du cycle de vie. Ce dernier prend en compte l’ensemble des coûts générés par un produit tout au long de son cycle de vie, ce qui tend à avantager les produits issus de l’économie circulaire qui visent en amont à réduire la quantité de matières et d’énergie consommées et en aval à limiter les coûts associés à la fin de vie des produits (réemploi, réutilisation, recyclage). Enfin, la loi n°2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte a consacré la commande publique comme un outil mis au service de l’économie circulaire et impose aux collectivités – ayant un budget d’achats annuel supérieur à 100 millions d’euros – de mettre en place un schéma d’achats responsable qui contribue également à la promotion d’une économie circulaire. Cette loi impose par ailleurs comme objectif à l’État et aux collectivités territoriales de parvenir, d’ici 2020, à valoriser au moins 70 % des matières et déchets produits sur les chantiers de construction ou d’entretien routiers dont ils assurent la maîtrise d’ouvrage.

Décalage entre les objectifs et la réalité

Cependant, les dispositions relatives à l’économie circulaire laissent parfois un certain flou sur les moyens que peuvent utiliser les acheteurs publics. Bien que la loi relative à la transition énergétique ait fixé des objectifs de 70 % de valorisation des déchets du BTP et de la construction routière, ces engagements n’ont pas été retranscrits dans les plans régionaux ou départementaux de gestion des déchets ; et aucune précision n’a été apportée sur les modalités de suivi et de contrôle du respect de ces engagements. De manière plus générale, la plupart des dispositions relatives à l’économie circulaire dans la commande publique ne stipulent aucune obligation, laissant les acheteurs libres de les intégrer ou non dans leurs marchés, sans fournir non plus d’outils concrets permettant de transposer ces objectifs en plans d’action. Du point de vue des acheteurs, ce flou juridique est moins source d’innovation que de risque de contentieux. En effet, les juges ont plutôt tendance à accorder une importance primordiale au respect des règles de la concurrence dans les marchés publics, qui s’apprécient d’abord en fonction de critères objectifs, notamment économiques. L’étude publiée cette année par le Conseil économique, social et environnemental semble confirmer cette observation puisqu’elle montre que malgré l’existence d’outils juridiques, a priori favorables à l’achat responsable, on peut observer un décalage certain entre les objectifs définis dans le plan national d’action en faveur de l’achat public durable 2015-2020 et la réalité des marchés passés. Ainsi, ce plan d’action prévoit que d’ici 2020, 25 % des marchés publics doivent intégrer une clause sociale et 30 % d’entre eux une clause environnementale. Or nous en sommes encore loin puisqu’en 2015, les taux effectifs étaient plutôt autour de 8 % pour les clauses sociales et 10 % pour les causes environnementales, ce qui illustre une certaine difficulté des acteurs publics à s’emparer des outils et dispositifs juridiques destinés à introduire le développement durable et l’économie circulaire dans les marchés publics.

Des projets encourageants

Face à ces blocages, la Commission européenne a entrepris, depuis 2010, un travail d’identification et de valorisation d’initiatives réussies dans le domaine des achats publics responsables. Parmi ces initiatives, certaines sont orientées vers une prise en compte plus marquée des enjeux de l’économie circulaire. Au Danemark, un groupement d’achats incluant une soixantaine de municipalités a réussi à effectuer un achat de meubles comprenant 70 % de bois recyclé ou certifié durable avec un coût inférieur de 26 % au prix du marché. Une des exigences spécifiées dans le marché initial était que les meubles devaient être démontables de manière à ce qu’il soit possible de récupérer les pièces métalliques. Dans leurs spécifications techniques, les acheteurs se sont également appuyés sur un label de durabilité proposé par l’Agence environnementale danoise. Aux Pays-Bas, la ville de Brummen a lancé un appel d’offres pour la construction de son nouvel hôtel de ville en adoptant une démarche entièrement circulaire. Lors du processus d’achat, les critères prix et environnementaux avaient le même poids vis-à-vis de la note finale, ce qui a permis à la ville de faire construire un bâtiment prévu pour durer 20 ans, avec plusieurs éléments issus du bois (structure porteuse, façade, planchers), facile à démanteler et dont 95 % des matériaux qui le constituent pourront être réutilisés dans 20 ans pour construire d’autres bâtiments. Et last but not leastce bâtiment a finalement coûté à la ville 30 % de moins en comparaison de deux autres projets de même envergure dans la même localité et sur la même période. Le levier de la commande publique est d’autant plus intéressant qu’il peut exercer un effet démultiplicateur sur un territoire et contribuer à forger un milieu favorable à l’émergence de nouvelles innovations qui vont ensuite structurer un véritable écosystème territorial. Un exemple de ce type de projet existe en France, dans la région de Bordeaux où le projet d’aménagement Euratlantique a donné naissance à un projet d’un nouveau genre baptisé Plateforme Noé, grâce à un appel à manifestation d’intérêt lancé en 2015 et remporté par Eiffage et Suez. Cette plateforme est devenue un démonstrateur de la ville durable avec une mutualisation de divers services en circuits courts entre plusieurs chantiers (stockage, transport, formation, insertion…), mais aussi un ensemble d’interactions entre les entreprises pour réduire les nuisances environnementales et optimiser la gestion des ressources (gestion des terres excavées et polluées, stockage des matériaux issus des chantiers et reconditionnement sur place pour leur réemploi).

Un chantier prioritaire

Cependant, la difficulté manifeste qu’ont les acheteurs publics à mieux prendre en compte l’économie circulaire dans leurs marchés ne tient pas uniquement aux éléments juridiques ; elle se nourrit également d’une inadéquation entre les enjeux de l’économie circulaire et l’organisation interne des acteurs publics. Ainsi, depuis le décret n°2016-360 du 25 mars 2016, les acheteurs peuvent effectuer, en amont de leur marché, un sourcing qui leur permet de mieux identifier les entreprises innovantes de leur territoire pour adapter ensuite leurs cahiers des charges et faciliter l’accès à leurs marchés pour ces entreprises. Mais dans la pratique, les contraintes politiques, le rythme et les modes de travail au sein des organisations publiques n’incitent pas beaucoup les acheteurs à mobiliser cet outil. De même, depuis l’ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015, l’allotissement devrait permettre aux collectivités de « découper » leurs marchés afin de les rendre plus accessibles aux TPE et PME de leurs territoires, mais il n’est pas toujours utilisé avec le niveau de finesse suffisant pour toucher les petites entreprises locales. Globalement, il existe ainsi un décalage important entre les outils juridiques disponibles et les moyens qui sont octroyés aux acheteurs pour mobiliser ces outils dans le cadre de la commande publique. Ce constat renvoie à la problématique du changement organisationnel qui devrait être intégrée de manière plus systématique dans les réflexions des acteurs publics afin d’accompagner au mieux les acheteurs dans leurs démarches. Cette analyse a d’ailleurs été conduite dans une étude réalisée en 2014 par des chercheurs qui ont analysé les politiques d’achat public d’une soixantaine de municipalités en Italie. Ils ont souligné l’importance de deux critères majeurs pour augmenter substantiellement le pourcentage de critères environnementaux intégrés dans les achats publics : la mise en place de guides, de documents, de formations pour accompagner les acteurs et les aider à faire évoluer leurs pratiques au quotidien et d’autre part ; le rapprochement, au sein des collectivités, du département achats et de celui qui traite les questions environnementales. On le voit, les mutations à conduire pour réorienter la commande publique vers des objectifs d’économie circulaire sont nombreuses. Il s’agit d’un chantier prioritaire pour donner aux entreprises et aux acteurs économiques la preuve que l’économie circulaire n’est pas seulement affaire de discours mais qu’elle se matérialise dans des engagements contractuels. Ce levier est essentiel pour que de nouveaux écosystèmes locaux, regroupant des entreprises, des collectivités et des laboratoires de recherche autour de l’économie circulaire, se constituent et que de nouvelles offres innovantes émergent.   Joel Ntsondé, Franck Aggeri   3 mai 2018, originellement publié sur TheConversation.com

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