David Carassus, IAE Pau-Bayonne
Depuis le début de l’année 2020, la pandémie liée au coronavirus met en évidence l’importance des structures publiques, notamment locales, pour l’organisation de la vie sociale et économique de nos pays et de leurs habitants. Elle en fait également éclater les limites et les insuffisances. Se rendent ainsi visibles plusieurs problèmes de pilotage des politiques publiques, auxquels des solutions paraissent devoir être trouvées.
C’est là l’objet de l’ouvrage récemment publié aux éditions Berger-Levrault Le pilotage des politiques locales : de la planification à l’évaluation – Concepts, pratiques et normes. Il analyse différents exemples qui nous invitent à considérer la crise du Covid-19 comme une opportunité de développement de l’innovation publique.
Force est de constater que les organisations publiques ne peuvent plus se contenter d’une gestion fondée sur le seul contrôle de leurs ressources, notamment financières, sur une gouvernance fermée et passive, sur des outils de gestion court-termistes, ainsi que sur des logiques de changement « top-down » et peu préventives.
Changer de paradigme
Le premier point d’achoppement mis en évidence par la crise est celui de la gestion des ressources. La période récente a révélé les capacités limitées des organisations publiques, à prévenir, à planifier, ou à prioriser. Dans les années à venir, les pratiques de gestion des risques, les outils de détection et d’analyse des besoins sociaux sont ainsi invités à se développer. Il s’agit d’anticiper, mais surtout de savoir s’adapter rapidement aux ruptures contextuelles et conjoncturelles. Pour l’heure, nos équipes dirigeantes conduisent l’action publique souvent à vue en restant focalisés sur les seuls moyens à leur disposition avec de faibles capacités collectives projectives.
Cette pandémie met aussi en évidence des limites qui relèvent de la coordination et de la coopération des différents acteurs de la sphère publique. L’engagement d’acteurs individuels ou associatifs des territoires permet souvent de trouver des solutions dans la gouvernance locale. On l’a, par exemple, vu pour la réalisation des masques ou des blouses manquantes, ou encore avec le financement sous forme de dons aux hôpitaux publics. Mais, les répartitions entre acteurs n’étant pas explicites, chacun se renvoie parfois un peu la balle lorsqu’il s’agit d’endosser une responsabilité.
Ces problématiques appellent un changement de paradigme au sein du management public. Très influencé par une culture du contrôle bureaucratique, il semble devoir se réformer dans une logique développée par le Post New-Public Management. Celle-ci est centrée sur une ouverture à l’usager, sur une collaboration multipartite, sur l’anticipation et la transparence.
Des chercheurs, qui interrogeaient les logiques de la loi Lolf, ont observé que les premières mises en place de véritables pilotages des politiques publiques se sont opérées dans les grandes villes anglo-saxonnes telles que Charlotte, Melbourne, Sydney ou Auckland. On les a également retrouvés à un niveau fédéral aux États-Unis ou en Australie. Avec la crise économico-financière de la fin des années 2000, on a pu les retrouver à l’échelle française.
Des collectivités innovantes
Piloter une politique publique, c’est d’abord effectuer des diagnostics stratégiques, ce qui reste peu fait en pratique, mais aussi planifier l’activité sur le long terme. À ce titre, plusieurs outils peuvent être mobilisés : segmentations stratégiques, arbres à objectifs, outils de priorisation… S’ouvrir à d’autres acteurs, tels que les associations, permet le développement d’une intelligence collective et d’une gouvernance partagée, plus à même d’anticiper ou de faire face à des évolutions sociales ou environnementales. L’information circule alors mieux, que cela soit de manière descendante, des dirigeants vers la population, ou ascendante.
Ces pratiques commencent à être mises en œuvre de manière volontariste par des collectivités innovantes que notre ouvrage est venu étudier.
Le Sicoval, un établissement intercommunal du Sud-Est toulousain, a su réaliser un bilan à mi-mandat et modifier son projet politique 2014-2020 pour fixer un nouveau cap pour 2018-2020. Pour améliorer ses modes de gouvernance, plusieurs priorités ont alors été privilégiées et l’on a alors observé une organisation politique et administrative responsabilisée et des tableaux de bord produits pour évaluer les actions engagées.
Plus au nord, la métropole d’Angers a engagé au début des années 2020 une relecture de ses politiques publiques. Elle se donne alors les moyens de répondre à plusieurs questions : que doit développer la collectivité ? Que doit-elle arrêter ? Que doit-elle faire différemment ? Que doit-elle continuer à faire ? La méthode y est ouverte et collaborative, mêlant élu et agents, fonctions métiers et support, en mode projet et en transversalité.
Plusieurs outils sont alors mobilisés comme une segmentation stratégique, un arbre à objectifs, des indicateurs d’évaluation, un budget par politiques publiques, un système d’information d’aide à la décision. Un plan d’action par axes d’intervention en a découlé. Cette démarche et ces outils ont permis de revoir les politiques locales, en particulier sur le plan budgétaire, pour déterminer les priorités et trouver de nouvelles marges de manœuvre dans un contexte contraint.
Dernier exemple à une échelle plus large, le conseil départemental de l’Isère a défini un projet intitulé « Ambitions 2021 » au service de son territoire, ses usagers et ses autres partenaires. Une démarche de pilotage des politiques y est déployée, mobilisant des indicateurs dans plusieurs documents de communication. Un bilan à mi-mandat du projet d’administration est venu évaluer plusieurs politiques publiques comme la famille, le cadre de vie, ou encore l’attractivité du territoire.
Ces quelques cas constituent une invitation pour les politiques publiques à se tourner vers un paradigme de fonctionnement intégrant le pilotage de leurs politiques et services publics, vers des modes de gouvernance ouverts et proactifs, vers des outils de gestion mobilisant aussi des dimensions stratégiques, organisationnelles et individuelles, ainsi que des logiques de changement participatives et anticipatrices.
David Carassus, Professeur en sciences de gestion, IAE Pau-Bayonne
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.