L’énergie éolienne couvre 9 % de la consommation électrique en France et ce chiffre devrait augmenter significativement dans les prochaines années. Dernièrement, de nombreux débats remettent en question cette énergie. Alexandre Roesch, délégué général du Syndicat des énergies renouvelables (SER), fait un état des lieux du secteur. [Energies renouvelables 6/6]
Big média : Quel est le poids de l’éolien en France ?
Alexandre Roesch : Aujourd’hui on a 17 GW de capacités installées en France soit 8 500 éoliennes qui fonctionnent. Ce secteur permet aujourd’hui de couvrir 9 % de la consommation électrique française. Par rapport à l’hydroélectricité, l’énergie renouvelable de référence en France, qui couvre 13 % de la consommation électrique, le poids de l’éolien commence à être significatif. De plus, quand le secteur se développera en mer, à partir de l’été prochain, les chiffres augmenteront encore plus rapidement. L’avantage de l’offshore, c’est-à-dire des éoliennes en mer, c’est que ce sont des machines de plus grosses tailles avec des vents plus réguliers et plus puissant qu’à terre. Un parc en mer produit plus qu’un parc à terre à capacité identique.
BM : Quels sont les objectifs fixés par la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) ?
AR : L’objectif est d’atteindre 33,2 GW d’ici 2028, donc de doubler la capacité actuelle. Dans le débat public, on le traduit souvent par doubler le nombre d’éoliennes ce qui n’est pas vrai. A l’origine on était sur des petites puissances, d’à peine 1MW alors qu’aujourd’hui on est sur des tailles de 3,5 MW voire plus. Pour doubler la capacité du parc, il ne faudra en fait pas doubler le nombre d’éolienne mais en ajouter 4 à 5 000.
L’offshore possède lui aussi des objectifs dans la PPE avec un agenda très précis jusqu’en 2024. A l’heure où on se parle, les projets prévus dans la PPE ont été lancés. Ils sont soit au stade de débats publics en cours, soit à des niveaux plus avancés. Mais à partir de 2024, la PPE fixe seulement l’objectif d’atteindre 1GW par an sans donner plus d’indications. Au sein du SER, nous aimerions obtenir de la visibilité pour la suite, notamment pour les industries du secteur. Trois des onze sites de production industriels européens sont installés sur le territoire. La France a réussi à obtenir quasiment l’ensemble de la chaine de valeurs. Il est donc important pour ces industries de connaître les objectifs après 2024 pour s’y préparer.
BM : Comment expliquez-vous que l’éolien fasse autant débat aujourd’hui ?
AR : On sent que certains s’en servent pour parler d’autres sujets comme l’opposition des villes et des campagnes ou encore le sentiment d’imposer certains choix à des territoires. Ces thématiques raisonnent avec des sujets qui ne sont pas énergétiques, mais l’éolien représente un symbole de la transition. D’autres considèrent qu’il représente une concurrence au nouveau nucléaire et qu’il faudrait choisir entre les deux. Or il ne faut pas se tromper et faire croire qu’on pourra tout couvrir avec du nouveau nucléaire. C’est faux et donc dangereux parce qu’on continuerait d’importer des énergies fossiles.
Il y a un autre élément frappant : l’effet de loupe sur les oppositions au secteur alors que les sondages d’opinions menés par différents instituts, montrent que l’acceptabilité en France, reste très élevée. L’ADEME a récemment réalisé un sondage sur les régions des Hauts-de-France et Grand-Est, qui comptent le plus d’éoliennes. On constate que les riverains, et donc les premiers concernés, sont favorables à la poursuite des projets. Pourtant, on pourrait avoir le sentiment dans le débat que les campagnes sont vent debout contre l’éolien. Mais ça tient beaucoup aux phénomènes d’amplifications des réseaux sociaux.
“Il faut comprendre que l’éolien est nécessaire et que ce n’est pas une option”
BM : Comprenez-vous néanmoins certains reproches ?
AR : Sur l’aspect esthétique, je peux comprendre que certaines personnes ne trouvent pas ça très beau. Mais quand des opposants parlent de cimetières de pales en France, c’est purement mensonger. D’autant que la législation oblige les opérateurs à atteindre des taux de recyclage à partir de janvier 2022, à 90 % et jusqu’à 95 % en 2024. Il y a une obligation d’excavation totale des fondations bétons à la fin de vie de l’exploitation. Il n’y a pas beaucoup d’industries en France qui sont soumises à ces règles. Tous ces sujets sont très encadrés, on a donc un peu de mal à entendre ces arguments.
BM : La ministre de l’Écologie déclarait au micro de France Inter vouloir tout faire pour rendre l’éolien, y compris offshore, plus acceptable auprès des citoyens. Selon vous, ça passe par quoi concrètement ?
AR : Je pense qu’il y a un gros travail de pédagogie à mener auprès des gens. On est d’autant plus enclin à s’opposer à quelque chose lorsqu’on pense que c’est inutile. Il faut comprendre que l’éolien est nécessaire et que ce n’est pas une option. 75 % de notre consommation énergétique a lieu dans les transports et la consommation de chaleur. Il va donc falloir décarboner ces autres secteurs en les électrifiant. La consommation d’électricité va donc être en hausse avec une consommation d’énergie globale en baisse. Pour couvrir cette augmentation, il faudra notamment passer par les énergies renouvelables, dont l’éolien.
BM : Certains estiment que les éoliennes fonctionnent très peu dans l’année, est-ce vrai ?
AR : C’est important de parler de la variabilité des éoliennes. Selon certaines opinions, elles ne fonctionneraient que 25 % du temps. Non, ça fonctionne 90 % du temps mais 25 % du temps à pleine charge sur une année. C’est comme si vous aviez une voiture capable d’aller à 200 km/h mais que vous ne rouliez qu’une fois par an à cette vitesse et qu’on vous disait que vous ne rouliez qu’une fois dans l’année.
En tant qu’acteurs de la filière, il y a un effort constant à dialoguer avec les différentes parties prenantes comme les collectivités territoriales par exemple, pour que les riverains d’un parc comprennent les apports sur leur territoire. Aujourd’hui le secteur paye l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseau qui est versée au budget de la commune. Ce sont très souvent des ressources importantes pour les villes rurales mais les riverains ne le savent pas toujours. Il y a un lien de cause à effet entre l’acceptabilité locale et les retombées de ces projets. Si on pouvait l’exprimer plus clairement je pense que ça permettrait aux gens de mieux comprendre ces enjeux.
BM : Quels sont les enjeux autour de l’offshore ?
AR : Les éoliennes en mer sont des projets plus gros que ceux sur terre et par conséquent elles produisent plus d’énergie. Elles sont très compétitives avec un coût d’une cinquantaine d’euros le mégawattheure (ndlr : aujourd’hui le prix du mégawattheure dépasse les 100 euros). D’ici 2050 on estime pouvoir atteindre 50GW répartis sur les différentes façades maritimes, ce qui représente 2,8 % de l’espace maritime métropolitain. Les enjeux sont aussi et évidemment écologiques. Il y a une exigence très forte d’exemplarité environnementale. A l’heure actuelle, les données qu’on a viennent de parcs étrangers. On remarque d’ailleurs qu’il y a des effets récifs qui se créent. On pourrait donc penser que ce sera la même chose en France. Mais les ONG mettent en garde en précisant que la faune n’est pas la même que dans les pays étrangers.
BM : Quelle est la relation avec les pêcheurs ?
AR : C’est l’un des enjeux majeurs. Les pêcheurs font face à une période anxiogène avec notamment le Brexit. Il était donc important que le Premier ministre confirme officiellement que les activités de pêches pourront avoir lieu dans les parcs en mer. Les pêcheurs attendent des garanties sur les ressources halieutiques, mais comme pour l’aspect environnemental, les premières éoliennes mises en service en France devront prouver que ça fonctionne.
BM : D’un point de vue économique, que représente le secteur éolien en France ?
AR : Aujourd’hui, il y a 22 000 emplois dans l’éolien dont 5 000 pour l’offshore. D’ici 2035, si nous atteignons nos objectifs soit 18 GW, l’éolien en mer devrait passer à 20 000 emplois. La France compte plusieurs leaders internationaux présents sur son territoire, qui irriguent une série de PME locales. Pour l’éolien terrestre, les activités d’exploitation-maintenance, qui représentent déjà plus de 40 % des emplois, devraient voir leur poids s’accroitre avec l’augmentation du parc. En revanche, le faible accroissement de la part correspondant aux activités de fabrication des équipements met en lumière le besoin d’actions spécifiques pour dynamiser cette partie de la chaîne de valeur. D’ici 2028, le terrestre pourrait comptabiliser 28 000 emplois. Les régions disposant des parcs les plus importants, dont les Hauts-de-France et le Grand-Est, sont les principales bénéficiaires de ces retombées.