Elodie Gentina, IÉSEG School of Management
Le Contrat à Durée Indéterminée (CDI) reste un sésame pour la réalisation de nombreux projets, tels que souscrire un crédit immobiliser, solliciter un prêt pour une voiture… À l’échelle mondiale, 41 % des salariés considèrent la sécurité de l’emploi comme une des raisons principales pour intégrer une entreprise. Plus particulièrement, en France, la sécurité de l’emploi est le deuxième facteur d’attractivité (39 % des salariés), devant la rémunération (35 %).
Cependant, à l’heure où la transformation digitale ne cesse de gagner du terrain, les métiers évoluent et de nouvelles conceptions de travail se mettent en œuvre, faisant passer le « pourquoi » avant le « comment », la flexibilité avant la sécurité, l’exemplarité avant le statutaire, l’ambition de s’accomplir avant celle de réussir.
Nous sommes entrés dans un nouveau phénomène, l’ère du switch, celle de la fin des voies toutes tracées, où le marché se transforme profondément, avec la progression des freelances (augmentation de 126 % en 10 ans), l’explosion de la pluriactivité (multipliée par deux en 10 ans), l’obsolescence accélérée des métiers (50 % des jobs d’aujourd’hui n’existeront plus d’ici 10 ans).
Mixer les expériences
Introduit pour la première fois en 2007 par l’Américaine Marci Alboher dans son ouvrage One Person, Multiple Careers, le terme slasheur se définit comme le fait de cumuler plusieurs emplois et/ou activités à la fois. Agent immobilier la journée et prof de yoga le soir, ingénieur la semaine et photographe le week-end, ces travailleurs pluriactifs ne font plus figure d’originaux en France. Selon l’étude publiée lors du Salon des micro-entreprises (SME), 16 % des actifs en France sont concernés par le slashing.
Le phénomène du slashing touche toutes les catégories sociales, y compris les plus protégées telles que les cadres, puisque 72 % des cadres sont convaincus que le CDI ne sera plus la norme demain et 87 % d’entre eux estiment que chacun expérimentera plusieurs statuts dans sa carrière. De plus, le slashing concerne toutes les générations, et plus particulièrement les jeunes de moins de 30 ans (39 % contre 19 % des plus de 60 ans), maitrisant parfaitement le digital vivant dans une culture de l’instantanéité.
Reste que le CDI reste fortement ancré dans les attentes. D’après une étude menée par Mazars et OpinionWay, en 2019, auprès de plus de 1000 jeunes Français, 79 % des 15-24 ans souhaitent travailler en CDI, contre 86 % des 25-34 ans. Pour autant, 46 % des 15-24 ans estiment que le CDI a vocation à disparaître au profit du CDD (25 %) ou du statut d’indépendant (21 %).
Bien que le CDI attire toujours les jeunes, les plans de carrières à long terme sont remis en cause, puisque 44 % des jeunes ne savent pas s’ils souhaitent exercer le même métier toute leur vie et que seulement 26 % se projettent dans la même profession. La nouvelle génération est plutôt encline à mixer les expériences professionnelles au fil d’une carrière. D’après une étude réalisée en 2018 auprès de 2230 jeunes Français (15-22 ans), un tiers d’entre eux envisagent de cumuler trois activités ou plus en parallèle et 73 % d’entre eux revendiquent le besoin d’autonomie dans les horaires. Selon l’étude Jam, les jeunes affirment préférer travailler par objectifs (65 %) plutôt que par horaires (35 %).
La montée de l’auto-entreprise
Si l’on observe aujourd’hui que des seniors se dirigent vers le slashing par volonté d’épanouissement et de liberté sans attendre la retraite pour oser se lancer, on retrouve dans cette mouvance, avant tout des profils juniors. La crise sanitaire amène les jeunes, même avec un bac + 4, 5, 6 ou plus, à devoir accepter des postes qui ne correspondent pas forcément à leur niveau de compétence. Sans illusions, les jeunes cadres cherchent en parallèle de leur CDI d’autres missions plus attrayantes, et pour lesquelles ils peuvent être leur propre patron, grâce notamment au statut d’auto-entrepreneur. Un jeune sur quatre souhaite être auto-entrepreneur aujourd’hui.
Il existe deux types d’« entrepreneurs-slashers ». Les premiers ont créé plusieurs entreprises, les unes après les autres, avec des activités différentes. Les seconds possèdent une activité entrepreneuriale secondaire comme les freelances, les auto-entrepreneurs ou les associés, afin de multiplier les expériences et adapter leurs compétences dans un monde du travail de plus en plus incertain.
Choisir librement quand et combien de temps partir en congé, ne travailler que quatre jours dans la semaine, fixer soi-même ses horaires : une utopie pour les salariés, une mesure anti-productive pour les entreprises ? Certaines organisations prouvent pourtant le contraire et testent des solutions, notamment depuis la pandémie, avec la normalisation du télétravail. De plus en plus de jeunes recrues remettent en cause les clauses d’exclusivité imposées par les entreprises, afin d’éviter aux salariés d’avoir plusieurs métiers.
Des CDI à temps partiel ?
Afin de permettre aux salariés de réaliser d’autres projets en lien avec leurs aspirations, l’une des solutions pourrait être de leur proposer des CDI à temps partiel, prenant diverses formes selon les besoins et envies des jeunes recrues : travailler pendant 6 mois à temps plein et avoir 2 mois pour mener une autre activité, avoir quelques jours off par mois, ou encore bénéficier d’une semaine de 4 jours…
Par exemple, à l’agence de développement web YesWeDev, les salariés déterminent eux-mêmes leurs horaires et leur lieu de travail. Tous sont aux 35 heures hebdomadaires, lissées sur deux ou trois semaines. La semaine de 4 jours fait aussi timidement son apparition, sur le modèle de ce que pratiquent des sociétés américaines comme Microsoft ou Google. Des prestataires IT, telles LDLC ou Ténor, sont passés à la semaine de 4 jours en 2021. Tout comme la société de recrutement Welcome To The Jungle, où les salariés prennent leur mercredi ou leur vendredi, en vue de répondre aux nouvelles attentes de leurs jeunes collaborateurs, en matière d’équilibre des temps de vie.
Ce sont surtout les PME qui ont testé la semaine de 4 jours, et les patrons revendiquent de plus en plus bien-être et efficacité chez leurs salariés. C’est également un argument dans la guerre actuelle des jeunes recrues.
Pour autant, la semaine de quatre jours ne risque pas de se généraliser en France. La majorité des salariés n’en expriment d’abord pas le besoin (21 % des salariés se disent prêts à limiter le nombre de jours travaillés contre des journées plus longues) et les organisations patronales balaient le sujet estimant que l’immense majorité des entreprises ne peuvent pas fonctionner sur quatre jours seulement. Qui plus est, si de telles solutions, comme la semaine à 4 jours, peuvent avoir un impact positif sur l’équilibre de vie, la nécessité de faire autant en moins de jours peut aussi être génératrice de stress au travail.
Elodie Gentina, Associate professor, marketing, IÉSEG School of Management
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.