Alors que la révolution numérique s’accélère encore avec l’avènement de la 5G, son coût environnemental, notamment en termes de ressources non renouvelables, reste encore largement méconnu. Une importante étude commandée par l’ADEME commence à livrer ses premiers résultats. Décryptage avec Raphaël Guastavi, chef de service Écoconception et recyclage de l’ADEME
L’ADEME a commandé il y a quelques mois une vaste étude des impacts environnementaux du numérique en France : ce sujet relève-t-il d’une actualité particulière ?
Raphaël Guastavi : La diffusion très large du smartphone, à partir de 2010, a accéléré la révolution numérique, qui ne laisse de côté plus aucun pan de l’activité humaine jusqu’à sembler parfois s’alimenter elle-même dans une surenchère d’innovations à l’utilité parfois discutable. Ses pionniers, devenus stars médiatiques autant que millionnaires, ne cessent de susciter de nouvelles vocations. Longtemps occultés par des termes choisis comme « virtuel » ou « dématérialisé », ses impacts environnementaux suivent très probablement la même trajectoire explosive, sans que nous disposions encore, pour les mesurer, de protocoles et d’indicateurs faisant consensus. Car s’il est relativement facile de calculer le coût direct en énergie et en émissions de gaz à effet de serre de tel ou tel service, cela l’est beaucoup moins de saisir l’ensemble de ses effets indirects, positifs comme négatifs, ou encore de lui attribuer sa quote-part de ressources non renouvelables. C’est pourquoi l’ADEME, avec l’Arcep, a commandé l’étude à laquelle vous faites référence à un consortium de bureaux d’études réunissant un large spectre de spécialités : réseaux, data centers, prospective et analyse du cycle de vie des produits.
Pourquoi s’intéresser au cycle de vie des produits ? N’est-il pas comparable aux autres biens de consommation ?
R. G. : C’est précisément l’un des angles morts du numérique. On s’intéresse depuis des années au poids carbone d’un courriel – et maintenant d’une heure de streaming – bien peu à leur empreinte en termes d’utilisation de matières premières (matériaux, extraction de métaux…). Pour cela, il faut suivre à la trace, de leur conception à leur fin de vie, toutes ces merveilles de technologies – box, smartphones, tablettes, ordinateurs et autres objets connectés… – qui se multiplient dans nos entreprises, nos maisons, nos voitures… La très grande majorité de leurs fabricants s’emploient à créer, via le marketing et la publicité, un besoin de renouvellement rapide, même si elles fonctionnent encore parfaitement et demeurent sous-utilisées. Or, en fin de vie, beaucoup ne trouvent pas le chemin du recyclage… qui est seulement de l’ordre de 10 %. En France, une centaine de millions de smartphones dorment dans les tiroirs, pour 60 en service. Si l’on ajoute que le recyclage desdits smartphones ne permet de récupérer que 10 des 50 métaux nécessaires à leur fabrication, l’allongement de leur durée d’usage par la maintenance, l’entretien, le reconditionnement ou la réparation apparaît clairement comme la meilleure solution.
Tout cela n’est-il pas compensé par l’optimisation de nos processus de production et de consommation, que le numérique favorise ?
R. G. : Là encore, l’argument demande examen. Par exemple, une étude a montré que 70 % des réductions de GES dues au développement du covoiturage à Paris (permis par les applications) ont été annulées par le transfert d’usage des transports publics vers la voiture, l’allongement des distances parcourues et l’éloignement de l’habitat. C’est pourquoi il est essentiel de déterminer les « gains nets » des solutions numériques. Elles peuvent réellement jouer un rôle d’accélérateur de transition écologique dans l’industrie, les collectivités ou chez les particuliers, mais seulement si elles sont mises en œuvre avec discernement. Le secteur du numérique lui-même n’échappe pas à la règle. Les data centers, qui consomment environ 10 % de l’électricité mondiale, améliorent certes leur efficacité énergétique mais restent de gros consommateurs de matières premières. Côté utilisateurs, les gestes simples pour limiter la consommation électrique des terminaux ou les flux de données échangés sont trop peu diffusés. Le développement du télétravail et le remplacement d’une partie de nos réunions physiques par des visioconférences semblent présenter, pour leur part, un intérêt indiscutable… pourvu qu’ils ne nous conduisent pas à doublonner nos équipements à la maison et au bureau. C’est donc bien d’une vision globale que nous avons besoin : notre étude, dont les premiers chiffres viennent de sortir, rendra son verdict complet en mars 2022.
Le gouvernement s’est fixé une feuille de route numérique et environnement, et une proposition de loi est en cours d’examen au Parlement : ces projets vont-ils dans le bon sens ?
R. G. : L’accent est mis sur le développement de la connaissance, l’information des consommateurs ou encore l’amélioration de la performance environnementale des produits et services numériques. Ce sont, nous venons de le voir, les bonnes voies à explorer. L’ADEME lance en novembre une campagne de communication sur le numérique responsable. Par ailleurs, nous constatons que les grands groupes internationaux s’intéressent à la réflexion de la France, plutôt en avance, et semblent se mettre en mouvement. S’ils orientent ne serait-ce qu’une petite partie de leur débordante activité créatrice vers de l’innovation frugale et une forme de sobriété numérique, de grands progrès seront possibles.
10,38 %
de l’électricité est consommée, en France, par les services numériques ; ils sont aussi responsables de 19,7 MtCO2eq, soit 2,87 % des émissions de gaz à effet de serre.
Notre empreinte numérique
L’activité numérique d’un seul Français occasionne, chaque année :
- un impact sur le changement climatique similaire à un trajet de 2 740 km en voiture ;
- la production de 370 kg de déchets sur l’ensemble des étapes du cycle de vie ;
- le déplacement de 1 160 kg de matériaux ;
- l’épuisement de l’équivalent d’1 kg d’étain en ressources abiotiques naturelles.
Source : étude ADEME-ARCEP, 2021-2022 ; chiffres soumis à une revue critique en cours de réalisation.