Réduire son empreinte carbone sans sacrifier la qualité de ses plats : une problématique qui touche tous les restaurateurs souhaitant agir sur leur impact environnemental. De nombreuses solutions sont aujourd’hui à leur disposition pour les aider à résoudre cette équation.
La lutte contre le réchauffement climatique s’opère à tous les niveaux, y compris dans nos assiettes, que ce soit à la maison, ou dans les établissements de restauration. À l’image de chaque entreprise, ces derniers possèdent une empreinte carbone sur laquelle ils peuvent agir grâce à des solutions simples, à commencer par la gestion des ingrédients utilisés en cuisine.
Les matières premières, c’est-à-dire les aliments servant à la conception des repas, constituent le premier poste émetteur de gaz à effet de serre (GES) d’un restaurant, si on ne tient compte que des scopes 1 et 2 (émissions directes et émissions indirectes liées à l’énergie). Une donnée essentielle, d’autant plus qu’une partie de ces ingrédients finit tout simplement à la poubelle : sur les quelque 10 millions de tonnes d’aliments consommables jetés chaque année en France, 1,5 millions de tonnes proviennent des restaurants.
Le gaspillage alimentaire, paradoxe de la restauration
L’impact de ce gaspillage alimentaire n’est pas uniquement environnemental. Pour les restaurateurs, il représente également une perte économique considérable. Selon l’Ademe, celle-ci s’élèverait à 30 000, voire 40 000 euros annuels, pour un restaurant traditionnel servant 500 couverts par jour.
Revenant sur sa propre expérience au sein de grands restaurants, le chef Thibaut Spiwack, à l’origine du restaurant éco-gastronomique parisien Anona et ancien participant de l’émission Top Chef, a été directement témoin de ce gaspillage, parfois volontaire. « On ne va utiliser qu’une partie d’un poisson, d’un morceau de viande ou d’un légume pour n’avoir que le plus beau morceau dans l’assiette, ou on va jeter les ingrédients qui ont servi à produire un bouillon », détaille-t-il. Une absurdité pour le restaurateur dont l’établissement, décoré d’une Étoile Verte Michelin et labellisé Ecotable, s’évertue à appliquer une politique « zéro gaspi » pour ses cartes. « Ne pas gaspiller se répercute sur les marges et donc sur la trésorerie, ce qui permet d’investir dans des produits de meilleure qualité qui attireront davantage de clients, ou bien d’investir dans des solutions vertueuses. »
Pour Jean-Charles Catteau, conférencier expert des filières agricoles et alimentaires et des questions environnementales, d’autres pratiques dans la restauration favorisent le gaspillage : « Une carte trop longue et diverse va forcément engendrer des pertes, tout comme la taille des portions, si elle est trop généreuse. » Réduire le nombre de plats et proposer plusieurs formats pour satisfaire les petites et grandes faims sont donc des façons simples d’optimiser son menu, sans rogner sur la qualité – bien au contraire.
Créativité et technique, deux clés contre le gaspillage
Rien ne se perd dans la cuisine de Thibaut Spiwack : même les noyaux de fruits, qui servent à produire des liqueurs ; pas même la carapace du homard, qui finira réduite en poudre agrémentant plats et cocktails. « Ce n’est ni difficile, ni contraignant, poursuit le chef. C’est même très excitant d’explorer de nouvelles choses, de trouver de nouvelles idées, de tester de nouvelles textures. »
« Créativité », c’est aussi le maître-mot de Faustine Calvarin, co-fondatrice de Beesk, quand elle s’adresse aux restaurateurs. Créée en 2018, son entreprise lutte contre le gaspillage alimentaire à la racine. Elle récupère chez les producteurs et transformateurs français les produits dits « hors-norme », c’est-à-dire les aliments comestibles mais considérés impropres à la vente car présentant des petits défauts. L’entreprise bretonne les revend ensuite, à prix très attractif, à des professionnels de la restauration, notamment collective. À son catalogue figurent aussi bien des fruits et légumes que des bas morceaux de viande, en passant par des produits laitiers. Afin d’accompagner ses clients au mieux et leur montrer que des plats de grande qualité peuvent naître d’aliments destinés à la poubelle, Beesk organise des ateliers culinaires. « On réunit plusieurs chefs de différents sites de restauration et on cuisine tous ensemble des produits anti-gaspi, explique la dirigeante. C’est un excellent moyen de faire tomber les barrières, de partager des recettes et des méthodes. Grâce à ce travail avec les brigades, on apporte non seulement le produit mais aussi la solution et la technique. »
« En cuisine, on a très vite fait de s’en tenir à ce que l’on sait faire et aux ingrédients que l’on connaît », constate également Jean-Charles Catteau. Des limites qui ont un impact très lourd, sur la viande en particulier, puisque certaines parties de l’animal se trouvent totalement délaissées. « Plusieurs de nos éleveurs n’arrivent pas à valoriser 30 à 50% de leurs viandes Label Rouge », confirme Faustine Calvarin. Cuisinés d’une certaine manière, les bas morceaux peuvent pourtant donner des plats très qualitatifs, comme l’explique l’expert en agro-alimentaire, évoquant la cuisson basse température, habituellement utilisée pour des pièces telles que le filet, qui permet de préserver les sucs et les nutriments. « Une cuisson de nuit à basse température permet, par exemple, de rendre fondant et succulent un modeste paleron de bœuf, qui sera ainsi ‘anobli’ », décrit-il.
Saisonnalité, provenance des produits et autres pistes pour limiter son impact environnemental
« Respecter les saisons et consommer local, ce sont les autres règles d’or d’une alimentation et d’une restauration vertueuses », insiste Jean-Charles Catteau. Règles que suit évidemment Thibaut Spiwack qui se tient toujours à la saisonnalité française et se fournit au maximum auprès de producteurs franciliens. De son côté, Beesk s’appuie sur des plateformes présentes sur tout le territoire afin de rapprocher autant que possible les producteurs et les restaurateurs. Le transport des aliments en provenance de l’étranger ou leur culture sous serre chauffée augmentent considérablement leur impact environnemental, et donc l’empreinte carbone de l’établissement qui les cuisine. Par exemple, des tomates cultivées hors saison en France ont un ratio kilogramme de CO2 par kilogramme (kgCO2/Kg) six fois plus élevé que des tomates de saison.
Au-delà des aliments eux-mêmes, d’autres postes émetteurs de gaz à effet de serre peuvent être améliorés dans un établissement de restauration. Côté énergie (qui représente 10 % de l’empreinte carbone) Thibaut Spiwack s’est tourné vers de l’électricité verte, d’origine renouvelable certifiée ; son restaurant est d’ailleurs dépourvu de tout conduit de gaz. « On privilégie les appareils basse consommation et on évite tous les objets inutiles, comme les nappes, précise-t-il. On ne choisit que des produits d’entretien biodégradables et on fait notre propre lessive. »
Une restauration plus vertueuse est aujourd’hui très demandée par les consommateurs. Adopter une démarche écologique comme l’anti-gaspi devient un véritable argument commercial et permet donc de réduire son empreinte tout en satisfaisant la clientèle. Pour preuve, l’Étoile Verte, dernière distinction créée par le Guide Michelin en 2020 pour « promouvoir les rôles-modèles en matière de gastronomie éco-responsable », a pour beaucoup désormais le même poids que sa version traditionnelle.