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[Tribune] Débris spatiaux : comme pour le climat, il est urgent d’agir

La hausse spectaculaire du nombre de satellites est maintenant une réalité perçue par le grand public. Prenez Starlink : la constellation internet d’Elon Musk est pleinement opérationnelle – on peut apercevoir des antennes sur le toit des ginguettes en bord de Marne, ou encore les désormais connus « trains » de dizaines de satellites à la nuit tombante défilant dans le ciel métropolitain. Les chiffres au niveau mondial sont éloquents : près de 8000 satellites actifs en orbite, contre seulement 2000 il y a 5 ans. Les multiples projets de constellation – dont celui annoncé par Thierry Breton il y a quelques mois – confirment l’augmentation presque exponentielle de notre impact sur l’orbite terrestre.

Le problème dépasse de loin les satellites actifs (c’est-à-dire souvent aussi contrôlables). Même si les alertes de collisions et les manœuvres pour les éviter sont désormais quotidiennes, encore est-il possible d’agir pour les éviter en déplaçant les satellites. Le principal risque vient en fait de l’accumulation de débris en tous genre (satellites inactifs, étages de fusées, etc.) et de toute taille (du millimètre à plusieurs mètres), tout particulièrement en orbite dite « basse » (de 200 à 2000 km d’altitude), laquelle concentre toutes les convoitises.

Le risque est celui du syndrome dit de « Kessler », du nom du scientifique américain Kessler qui, il y a déjà 40 ans, a imaginé un scénario d’augmentation exponentielle du nombre de débris pouvant aller jusqu’à rendre certaines orbites inutilisables. De l’aveu de certains spécialistes du sujet, on constaterait déjà les prémisses du phénomène à certaine altitudes très encombrées.

Or l’accès et l’utilisation des orbites spatiales est devenue pour l’humanité un bien commun critique : qu’on imagine seulement une panne prolongée du GPS ou de Galileo (son équivalent européen), des satellites météo, ou encore de ceux qui mesures le pouls de notre planète dans la lutte contre le changement climatique.

Ce dernier présente d’ailleurs des similarités fortes avec la question des débris spatiaux : d’un côté, il s’agit de limiter la hausse du nombre de débris (comme pour la concentration de gaz à effet de de serre) en ne laissant plus de satellites ou d’éléments de fusées inactifs polluer les orbites, voire en enlevant des débris existants (comme pour la capture et le stockage de CO²) ; de l’autre, comme pour le climat, il s’agit de trouver des moyens de s’adapter à un environnement spatial durablement plus encombré (comme il faudra adapter nos sociétés à vivre dans un climat plus chaud). C’est avec cette analogie en tête que des initiatives menées par le Forum de Paris sur la Paix ou encore l’ESA se réfèrent désormais au concept de « Net Zero Space ».

Pourtant, inventer des règles et les faire respecter ne sera pas une mince affaire tant les enjeux sont lourds – on peut ici en citer trois.

Enjeu juridique d’abord. Surprise souvent pour les observateurs moins avertis : un droit spatial existe et fixe aujourd’hui de grands principes sur la liberté d’accès à l’orbite ou encore sur la responsabilité des Etats comme des opérateurs privés en cas de faute conduisant à des dommages.

L’incertitude demeure pourtant forte sur les conséquences juridiques de collisions : si mon satellite est percuté par celui d’un autre acteur, pourrai-je obtenir une indemnisation, et comment ? S’il s’agit d’un débris non-identifié, quelles seraient les solutions ? Les assureurs spatiaux ont pris la mesure du problème et rechignent déjà à offrir une couverture. Les acteurs se préparent donc activement en mobilisant leurs équipes techniques et juridiques. Aucun projet, par exemple de constellation de connectivité, ne peut faire l’impasse sur ce risque critique.

Enjeu technologique et économique, ensuite. Une gestion durable de nos orbites nécessite de maîtriser plusieurs capacités : avant tout celle d’observer l’orbite, de prévoir les risques de collision, de déterminer les actions à prendre (par exemple déplacer les satellites) – voire, si nécessaire, d’apporter la preuve de la responsabilité en cas d’accident. Les gros acteurs comme les start-ups se bousculent sur ce créneau : Starlink a développé et utilise un algorithme pour ajuster sa constellation en continue et de manière autonome (pas loin de 100 mouvements actionnés par jour) ; des start-ups françaises comme Share My Space développement de télescopes terrestres et demain spatiaux au service des opérateurs comme des Etats.

Pour traiter le problème des débris existants les plus dangereux, de nouvelles technologies sont nécessaires : l’Europe est bien placée sur ce créneau à la rentabilité encore incertaine. Avec sa mission « ClearSpace1 », emmenée par la star-up suisse ClearSpace, elle vise à ramener en 2026 un débris de fusée italienne Vega lancé en 2013. Elle n’est pas seule puisque la jeune société japonaise Astroscale a déjà levé près de 400 millions de dollars avec l’objectif de devenir l’éboueur du spatial.

Enjeu géopolitique, enfin. L’accès et l’utilisation des orbites est également critique en matière militaire, dans un contexte de conflictualité croissante de l’espace, comme en témoignent la multiplication des « Space Forces » nationales. Ceci ajoute un risque supplémentaire en raison des tests de destruction de satellites, cause majeure de l’augmentation du nombre de débris incontrôlés : après les essais américains et chinois dans les années 2000, l’Inde en 2019, c’est la Russie qui, quelques mois avant l’invasion de l’Ukraine, a détruit au moyen d’un missile un de ses anciens satellites, faisant craindre un temps pour la sécurité des astronautes à bord de l’ISS. Les Etats-Unis tentent d’arrêter l’escalade avec l’engagement unilatéral annoncé en juillet 2022 de ne procéder à ce type de test. Reste à voir comment réagiront les autres Etats – dont la France, dont on peut regretter la position ambiguë sur cette question.

L’enjeu est géopolitique aussi parce que les Nations qui maîtriseront les technologies, les marchés de services et l’écritures des règles de trafic sont aussi celles qui domineront le domaine spatial dans les années à venir. On peut se féliciter que l’UE se positionne sur la question avec l’annonce d’une stratégie l’an dernier. Attention toutefois à ne pas se tromper de séquence : c’est d’abord par un investissement fort dans les technologies et les entreprises que l’Europe pourra ensuite défendre efficacement une utilisation durable du bien commun critique qu’est devenu l’environnement spatial de notre planète.

 

Par Arthur Sauzay, avocat associé du cabinet Allen & Overy LLP et contributeur sur les questions spatiales à l’Institut Montaigne

 

*Tribune publiée sur Le Figaro.fr (disponible en ligne ici).

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