A l’instar du rapport d’information des députés Gauvin et Marleix de juillet 2021, le Groupe de travail de l’OCDE sur la corruption dans les transactions commerciales internationales a salué en décembre dernier, date du 5e anniversaire de la loi Sapin II, les mesures prises par la France pour développer un cadre plaçant la prévention et le développement de mesures internes de conformité au cœur de la politique de lutte contre la corruption, tout en formulant des recommandations pour pallier certaines insuffisances.
L’occasion de revenir sur les principaux constats de ces cinq dernières années.
Les acteurs économiques jouent le jeu de l’anticorruption, mais non sans difficulté
Si les acteurs publics affichent un retard certain dans l’élaboration de leur dispositif anticorruption, il en va autrement des acteurs économiques : 87% des entités assujetties ont entamé une démarche de conformité[1]. Cela étant, malgré leurs efforts sensibles, près de deux tiers rencontrent encore des obstacles pour se doter des 8 mesures énoncées à l’article 17 II de la loi Sapin II[2]. Celles-ci sont essentiellement liées :
- Au manque de moyens humains et financiers. Rappelons que les coûts de mise en place et de suivi annuel d’un programme anticorruption seraient tout de même, (i) pour une multinationale, de 2 à 5 M€ et d’1 à 2 M€ et, (ii) pour une entreprise de taille intermédiaire, d’1 M€ et de 600 à 800 K€ ;
- A la complexité et au formalisme de certaines mesures, jugées parfois par les entreprises inadaptées à leurs réalités opérationnelles. La cartographie des risques de corruption et l’évaluation des tiers apparaissent à cet égard être les deux outils les plus délicats à définir. Les contrôles comptables et le dispositif d’évaluation et de contrôle se révèlent également très complexes à conceptualiser et mettre en œuvre ;
- Dans certain cas, au manque d’implication de l’instance dirigeante et d’organisation de la fonction conformité.
L’agence française anticorruption (AFA) a muri sa démarche
Peu nombreux sont ceux qui diront que les premiers pas de l’AFA étaient assurés. Celle-ci a d’abord surpris en initiant ses premiers contrôles dès octobre 2017, seulement 4 mois après l’entrée en vigueur de l’article 17 II de la loi Sapin II et avant la parution de ses Recommandations. Elle a ensuite étonné par sa manière de les conduire : difficultés à appréhender le profil de risque des entreprises auditées, absence de dialogue, demandes de communication très lourdes, recherche d’infractions plutôt qu’évaluation du dispositif anticorruption, durée excessive (22 mois en moyenne pour les entreprises privées !), sévérité injustifiée…
L’AFA a néanmoins fait évoluer sa pratique au fil des années et tenté de répondre à ces critiques, qui résultent probablement en partie d’une approche trop rigoureuse de sa mission et de l’insuffisance des ressources mis à sa disposition (60 employés et 6 M€ de budget lorsque le législateur ambitionnait 70 employés et un budget de 10 à 15 M€). Notamment :
- Ses agents sont mieux formés et mieux organisés que par le passé ;
- Le nombre de contrôle initié par an a été réduit (passant de plus de 40 en 2018 à une trentaine aujourd’hui) et leurs modalités diversifiées. On relèvera particulièrement le lancement des contrôles thématiques, portant uniquement sur certaines mesures, et la volonté récente et affichée de l’AFA de moduler la portée et la profondeur des contrôles en fonction des profils de risques des entités ;
- Une place accrue est donnée au dialogue, grâce à la mise en place de réunions de travail contradictoires dès la phase du contrôle sur pièces.
Certes, certains travers demeurent : demandes d’information allant au-delà du périmètre du programme anticorruption ou portant sur des éléments couverts par le secret (notamment bancaire, de l’avocat et des commissaires aux comptes), exigences sans doute toujours excessives, tonalité des rapports de contrôle très négative, versions définitives desdits rapports tenant peu compte des observations des entités inspectées… Mais les avancées doivent être reconnues.
La « sanction » n’a de dissuasif que son terme
Seules deux décisions ont été rendues à ce jour par la Commission des sanctions, et aucune n’a prononcé la fameuse sanction pécuniaire énoncée au V de l’article 17 de la loi Sapin II. Pourquoi ? Sans doute parce que cette dernière a affirmé que l’existence d’un manquement devait s’apprécier au jour où elle statue (et non au jour du contrôle), ce qui en pratique octroie aux entreprises deux précieuses années à compter de la réception d’un avis de contrôle de l’AFA pour se mettre en conformité. Le risque de sanction apparaît donc faible et pourrait se trouver à l’avenir encore diminué, la proposition de loi Sapin III[3] prévoyant de faire précéder la saisine de cette Commission, sauf manquement grave, par une procédure de mise en demeure du Directeur de l’AFA quoi pourrait durer jusqu’à deux ans.
Le ton semble donc être à l’accompagnement des entreprises et non à leur sanction. Ceci étant, le corolaire de cet infléchissement pourrait être la facilitation de l’engagement de la responsabilité pénale des entreprises en matière de corruption. La proposition de loi Sapin III prévoit en effet de rendre les personnes morales « responsables pénalement lorsque le défaut de surveillancede leur part [comprendre le défaut d’existence, voire d’efficacité, du dispositif anticorruption] a conduit à la commission d’une ou plusieurs infractions par l’un de leurs salariés. ».
[1] AFJE et ethicorp.org, (2020), Compliance & anticorruption : où en sont vraiment les entreprises en France ?, p.47.
[2]Ibid.
[3] Proposition de loi n°4586 visant à renforcer la lutte contre la corruption présentée M. Raphaël GAUVAIN, député.
Par Hippolyte Marquetty, associé, et Charly Latil, collaborateur, Allen & Overy
*Article publié dans le numéro du 3 mars 2022 de L’AGEFI