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Pourquoi Nutriset est devenue la première entreprise à Objet social étendu

Adeline Lescanne-Gautier (Directrice générale de Nutriset), Michel Lescanne (Président du Groupe Nutriset) et Isabelle Lescanne (Directrice générale Onyx Développement)

Nutriset, entreprise agroalimentaire familiale basée en Normandie, est devenue, en trente ans, le leader mondial en matière de recherche et de production de solutions nutritionnelles pour traiter et prévenir la malnutrition dans les pays du Sud. Mais l’entreprise est aussi pionnière en matière d’innovation sur les questions de gouvernance. Elle est ainsi la première entreprise française à s’être dotée d’un Objet social étendu. 


A la tête d’une entreprise familiale et indépendante, créée en 1986, les actionnaires de Nutriset ont développé dès l’origine du projet un modèle socio-économique original, à finalité humaniste, lié directement à l’activité.

En effet, l’idée initiale du fondateur, Michel LESCANNE, un ingénieur de l’agroalimentaire, était de « Nourrir les enfants », c’est à dire mettre au service de l’aide humanitaire, qui combattait alors la malnutrition infantile dans les pays en voie de développement avec peu de moyens, des produits efficaces, innovants et de qualité constante. 

Cette injonction de mettre au cœur du modèle de l’entreprise le destinataire final, alors souvent réduit à l’image d’une victime pour laquelle on ne pouvait pas grand-chose, a été un puissant catalyseur pour le développement de Nutriset et a permis de créer un modèle vertueux pour l’ensemble de ses partenaires. 

En collaborant étroitement avec les médecins nutritionnistes, les organisations internationales et humanitaires, les institutions de recherches et les pouvoirs publics, Nutriset a massivement investi dans la recherche et la production pour développer des solutions originales de traitement et de prévention de la malnutrition. Cet effort constant des actionnaires, de la direction générale et des collaborateurs a bouleversé les méthodes d’approche des acteurs humanitaires sur le terrain et contribué à une efficacité renforcée dans la lutte contre la malnutrition. 

Parallèlement, et toujours au nom de son mandat, Nutriset a fortement contribué à développer localement, dans les pays mêmes où les besoins se faisaient sentir, une agro-industrie valorisant les filières locales. Un nouveau concept a pu ainsi se forger au sein de l’entreprise, mobilisant chacun, celui d’une action pérenne en faveur de « l’autonomie nutritionnelle pour tous ».  

Mais, au-delà de ces succès, bien réels, se posait une question. Comment, pour les actionnaires de Nutriset, assurer la pérennité du mandat de l’entreprise ? Comment ancrer la vision des fondateurs dans les gènes de la société ? Comment concilier durablement la conduite de l’entreprise avec les valeurs de ses actionnaires ? Quel cadre imaginer pour que Nutriset devienne un projet collectif créatif engageant l’ensemble des collaborateurs ? 

Le droit français divise aujourd’hui très clairement les statuts d’entreprise entre le secteur marchand et le secteur de l’économie sociale et solidaire. De ce fait, aucune forme juridique n’existe pour les entreprises qui cherchent à combiner des dimensions économiques, sociales et durables dans leurs projets. Il fallait donc innover.

Menée avec Armand HATCHUEL, Blanche SEGRESTIN et Kévin LEVILLAIN de la chaire « Théorie de l’Entreprise » de l’École des Mines-Paris Tech, la réflexion des responsables de Nutriset a débouché sur l’adoption d’un Objet social étendu (OSE). En l’adoptant, en 2015, parmi les premières entreprises en France, Nutriset a ainsi fait le choix d’inscrire dans cet Objet social étendu le cœur de son mandat : « Apporter des propositions efficaces aux problématiques de nutrition/malnutrition ».

Ce travail de définition a permis ensuite de décliner la vision de l’entreprise en neuf engagements collectifs. Ces engagements résument les valeurs qu’entendent porter les actionnaires. Ils constituent une feuille de route pour la mise en place des stratégies par la direction générale. Ils sont une référence permanente pour tous les collaborateurs dans le cadre de leur activité.

Ainsi, cet Objet social étendu permet de concilier la conduite de l’entreprise avec les valeurs de ses actionnaires dans le cadre d’un projet collectif collaboratif. Il accompagne et guide toutes les stratégies et facilite la mise en place d’un mode de gouvernance innovant entre toutes les parties prenantes de l’entreprise. 

Pour s’assurer de sa bonne application, un comité de personnes qualifiées externes valide chaque année la bonne application de cet objet social étendu.

*

Souhaitant partager son expérience, Nutriset participe activement à la diffusion d’informations autour de ce nouvel outil de gouvernance en poursuivant sa collaboration avec les chercheurs de l’École des Mines-Paris Tech, en témoignant de son vécu dans des articles scientifiques ou des colloques et en dialoguant avec toutes les parties prenantes intéressées par les questions de gouvernance d’entreprise.

Nutriset se réjouit de voir actuellement le Gouvernement conduire une réflexion sur la relation entre entreprise et intérêt général, souhaitant en effet que l’engagement sociétal des entreprises puisse figurer au sein du futur projet de loi « Pacte » (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) qui sera présenté au Parlement et débattu au printemps 2018. 

Afin d’alimenter ce texte, une mission a été confiée au début du mois de janvier à Nicole NOTAT, Présidente de Viego-Eiris et à Jean-Dominique SENARD, Président du groupe Michelin, pour définir une nouvelle vision de l’entreprise, en interrogeant à la fois son rôle et ses missions. Attendues pour le 9 mars 2018, leurs propositions s’efforceront de définir la manière dont les statuts des sociétés et leur environnement juridique pourraient être adaptés pour renforcer le rôle de l’entreprise vis-à-vis de ses parties prenantes. 

Isabelle LESCANNE, Directrice générale de Onyx Développement (société holding de Nutriset, spécialisée dans l’accompagnement d’entreprises) et actionnaire de Nutriset a été auditionnée le 7 février 2018 par la mission Notat/Senard pour apporter son témoignage et exprimer ses attentes. 

Pour Nutriset, au-delà des aspects positifs évoqués plus hauts, l’Objet social étendu pose aussi un certain nombre de questions.

L’Objet social étendu permet assurément d’orienter l’action des parties prenantes internes à l’entreprise puisqu’il constitue, pour le cas de Nutriset, désormais la feuille de route de la direction générale. Les actionnaires sont ainsi dans l’obligation de lui donner des moyens suffisants afin de réaliser ces engagements. Réciproquement, la direction générale doit rendre compte des actions mises en place pour le faire vivre devant un nouvel organe créé à cet effet, la Commission à l’Objet Social Etendu (COSE). Au quotidien, cette modification statutaire permet de concilier et de mettre en cohérence les intérêts des différentes parties prenantes de l’entreprise.

Pour autant si l’Objet social étendu propose des réponses concrètes en interne, certaines difficultés sont identifiées dans la relation avec les parties prenantes externes à l’entreprise, notamment l’Administration à travers l’application des normes comptables et fiscales. 

En effet, dès lors qu’une entreprise porte des projets visant un objectif d’intérêt général à côté de la recherche de profits, comment prendre en compte cette spécificité d’un point de vue fiscal et plus largement juridique ? 

A titre d’exemple, il semble exister aujourd’hui une inadéquation entre la poursuite d’une mission et sa perception par les pouvoirs publics dans la taxation du profit. Dans le cas de Nutriset, cela se traduit sur la capacité ou non de la direction générale, à provisionner des moyens budgétaires pour poursuivre dans le temps, les programmes de recherche à même de répondre aux engagements collectifs de l’OSE. Or, ces provisions ont un impact sur le résultat de l’entreprise et donc sur la matière taxable que contrôle l’administration fiscale.

En fait, ces constats interrogent sur la réalité et la prise en compte opérationnelle de la mission par les parties prenantes externes à l’entreprise. 

Celles-ci peuvent-elles être impliquées sans pour autant aller à l’encontre de la liberté d’entreprendre ? Une meilleure considération des spécificités des entreprises à missions peut-elle se traduire par exemple par la création d’un indicateur fiscal qui permettrait de moduler l’imposition sans pour autant rompre avec le principe d’égalité devant l’impôt ?

En ce sens, la modification de l’article 1832 est une piste à explorer juridiquement afin de replacer la finalité de l’entreprise au cœur de sa création. Ainsi, une société se constitue pour réaliser son objet social et éventuellement se partager les bénéfices. Un tel exercice ne doit cependant pas remettre en cause la liberté statutaire mais bien la préserver pour maintenir l’attractivité de notre droit. 

De même, une définition des parties prenantes devra être proposée dans la future loi PACTE afin de donner une réalité juridique tangible et cohérente à ces partenaires quotidiens de l’entreprise. Elle pourrait y associer des droits mais aussi des obligations pour permettre à l’entreprise d’évoluer dans un environnement aussi propice que possible à la conduite de sa mission. 

La réflexion invite aussi à s’interroger sur l’usage et la terminologie de la notion même d’actionnaire pour éventuellement revenir à celle originelle, d’associé, historiquement inscrite dans l’article 1832 du Code civil, et source de toute aventure entrepreneuriale. Une telle distinction pourrait être opportune pour éviter tout effet d’aubaine quant à un possible engouement massif et spontané vis-à-vis d’un nouveau statut juridique d’entreprise à mission.

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