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Quelle est la valeur perçue d’un vêtement que je ne possède pas ? [ISC Paris]

Dans une étude récente publiée dans la revue Décisions Marketing¹, Coralie Damay et Leïla Loussaïef, toutes deux enseignantes-chercheuses à l’ISC Paris, ainsi qu’Isabelle Ulrich, enseignante-chercheuse à Neoma Business School, se sont intéressées aux plateformes de location spécialisées dans la mode. Ces plateformes permettent d’accéder aux vêtements, sans les posséder, et bouleversent ainsi le rapport au vêtement et la perception de sa valeur.

Comment mesurer la valeur perçue des vêtements loués ?

L’objectif de l’étude présentée était de comprendre si les consommateurs attribuaient la même valeur à un vêtement auquel ils ont accès sans le posséder. Les vêtements se distinguent par leur caractère impliquant, hédonique et ostentatoire et leur rôle de marqueur social.
Les auteures ont mobilisé le cadre théorique d’Aurier, Evrard et N’Goala (2004)². Cette approche considère que la valeur globale est déterminée par une somme de bénéfices perçus (les composantes de la valeur de consommation) desquels sont soustraits des sacrifices perçus (monétaires et non-monétaires). Cette approche multidimensionnelle et hybride, construite autour de quatre grandes sources de valeur perçue et d’une multiplicité de sacrifices perçus, a l’avantage de porter sur l’ensemble de l’expérience de consommation (du pré-achat jusqu’au post-achat). De plus, en proposant un découpage plus fin et plus riche du concept, elle a un fort potentiel opérationnel, en particulier pour identifier les leviers de création de valeur et fournir une évaluation riche et analytique d’une offre tout au long du déroulement de l’expérience.
Sur un plan empirique, les auteures ont mené une étude qualitative auprès de 27 consommatrices et 5 professionnels de la location dans le domaine de la mode.

Les principales découvertes de cette recherche

L’analyse des entretiens montre que le cadre théorique retenu, développé dans le contexte de la possession, peut être appliqué efficacement aux pratiques de location, avec des nuances dans les composantes de la valeur perçue.

Un grand nombre de bénéfices perçus émergent : logistique, conseil, décontamination, capacité à changer, plaisir du magasinage et d’utilisation, non-engagement, lien social-affectif, expression de soi, accès malin, responsabilité écologique et sociale et détachement de la possession. Par ailleurs, ce travail enrichit le cadre théorique par l’ajout d’une valeur économique qui se manifeste dans des bénéfices d’économie et d’accès à plus et mieux.

Des sacrifices perçus sont également soulignés : coût de l’abonnement et de la résiliation, pression de la caution, contamination, absence d’essayage, articles non-adaptés (dans les configurations d’abonnement), indisponibilité de la pièce, perte de temps, obligation de rendre et coût d’image.

Les recommandations aux professionnels de la location

Valoriser conseil, expression de soi et plaisir du magasinage

Pour valoriser le conseil donné par le personnel, considéré comme plus désintéressé que le vendeur classique, il convient de dispenser des conseils d’experts en ligne (styliste, décorateur, créateur) mais aussi de s’appuyer sur les conseils/témoignages visuels des précédents utilisateurs en valorisant la composante expression de soi (prédominante pour les produits identitaires et symboliques), selon l’exemple du leader américain Rent the Runway. L’expérience de location peut également être valorisée via le plaisir du magasinage qui devient un véritable axe de différenciation. Sur la plateforme, chaque étape doit être simplifiée et magnifiée, pour aller aussi loin qu’une expérience de shopping. La valorisation de tous ces bénéfices doit passer par la communication sur une expérience forte pour la clientèle, avec la « bulle de plaisir pour soi » que la location procure.

Communiquer sur l’accès malin et le détachement des possessions, au-delà de la valeur écologique et sociale

La mise en lumière des sources de valeur de la location révèle l’intérêt de communiquer plus explicitement sur le bénéfice d’accès malin qui lui est associé : l’objet serait de mettre en avant le caractère bien pensé de la démarche, en limitant aussi l’effort cognitif des consommateurs à calculer la rentabilité de la location vs l’achat. De même, il s’agit de communiquer sur le détachement de la possession, au-delà de la valeur écologique et sociale qui reste un axe de positionnement différenciant s’il est exploité de façon forte auprès des femmes qui y sont sensibles.

Développer et mieux communiquer le lien social

La création de lien social est une source de valeur à mettre en avant. Ce lien se construit d’une part avec le personnel de la plateforme (perçu comme étant désintéressé par rapport à des vendeurs) et d’autre part entre utilisateurs. Si la plupart des plateformes dans la mode cherchent déjà à animer une communauté de consommateurs, une vraie stratégie de community management sur les médias sociaux devrait être développée, ainsi que des programmes de marketing relationnel avec des parrainages d’amis, contenus et événements engageants. Il est aussi clé de communiquer sur cette communauté sur le site et aux prospects : les plateformes en France ne le font pas encore. De plus, proposer et animer une boutique physique peut contribuer à renforcer ce lien social, et semble avoir contribué au succès de Rent the Runway, Panoply City et ElssCollection.

Diminuer la perception des sacrifices monétaires et d’obligation de retour, tout en valorisant la décontamination

Le sacrifice monétaire est inhérent à toute pratique marchande mais il apparaît des axes d’amélioration pour la location de vêtements, notamment quant à la caution et la résiliation dans le cas d’une location par abonnement. Les plateformes devraient rassurer en permanence leur clientèle actuelle et potentielle sur ces aspects. Parallèlement, il convient de mieux valoriser les procédés de décontamination assurés par l’entreprise : nettoyage, vérification de l’état, procédé de livraison, etc. De plus, une clause « satisfait ou remboursé » garantissant l’envoi d’un produit « comme neuf » viendrait renforcer cette réassurance, tout en levant un frein potentiel pour les clients n’ayant pas encore eu recours à cette pratique. Enfin, prévoir des temps de location longs et faciliter l’achat de la pièce permettraient de limiter le sacrifice lié à l’obligation de retour. Certes, la plupart des plateformes françaises de location de mode proposent des possibilités d’achat de leurs produits, mais cela est généralement circonscrit à des ventes privées une ou deux fois par an, et cela n’est pas communiqué fortement. Dépasser la frustration du retour suppose de rendre l’option d’achat systématique avant ou après chaque location. Il s’agirait ainsi, comme le fait déjà la plateforme américaine de mode Gwinnie Bee, de rendre l’achat possible, avec un simple clic, pour toute l’offre et tout au long de l’année.

¹ Damay C., Ulrich I. et Loussaïef L. (2020), Quelle est la valeur d’un vêtement que je ne possède pas ? Les composantes de la valeur dans les pratiques de partage et location, Décisions Marketing, 100 (oct-déc.).

² Aurier P., Evrard Y. et N’Goala G. (2004), Comprendre et mesurer la valeur du point de vue du consommateur, Recherche et Applications en Marketing, 19 (3) : 1-19.

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